Haïm Korsia : vie professionnelle

Transcription de la vidéo

Au sein de votre fonction, quels sont quelques uns des problèmes éthiques épineux que vous trouvez difficile à gérer ?

D’abord je ne rencontre que des gens qui ont raison. Chacun et chacune a raison. En tous cas ils ont leur raison. C’est très dur de leur dire que leur raison est moins bonne que la raison du copain. Il y a une histoire rabbinique qui est beaucoup plus sérieuse qu’il n’y paraît. C’est un rabbin qui reçoit un monsieur, Monsieur Cohen, qui lui raconte une histoire terrible avec Monsieur Lévy. Le rabbin dit à ce Monsieur Cohen : « Écoute, Monsieur Cohen, vraiment tu as raison ! » Cohen sort, il est content. Lévy est convoqué. Lévy vient voir le rabbin, il raconte la même histoire et le rabbin lui dit : « C’est fou, Lévy tu as raison ! » Il s’en va, il est content. La femme du rabbin lui dit : « J’étais à côté, j’ai entendu : l’un t’a raconté une histoire, l’autre t’a raconté la même histoire. À tous les deux tu as dit qu’ils ont raison. C’est normal ? » Il lui dit : « Tu sais quoi ? Tu as raison !» L’idée c’est que finalement la difficulté première de mon activité c’est que je ne rencontre que des gens qui ont raison, mais leur raison ne laisse pas de place à la raison des autres.

C’est d’ailleurs le problème de la foi, la foi lorsqu’elle est intégriste. Regardez à quel point les mots intègre et intégriste sont proches ; le même mot, la même racine, et pourtant c’est radicalement différent. Encore une fois, une foi qui ne laisse pas de place au doute est une foi dangereuse. Peut-être que tu as raison et que l’autre interprète différemment que moi le texte, mais qui dit que son interprétation est plus légitime ou pas ? Cela peut-être comme ce que j’ai lu ce matin : est-ce qu’on ouvre ou pas la bouteille le samedi matin, ou plutôt la veille ? Est-ce que c’est important ou pas important ? Est-ce que c’est vraiment important ? Non. En réalité, chacun croit et veut bien faire. Il pense que l’autre, qui veut faire différemment l’empêche de bien faire.

La difficulté de mon activité, de mon activité principale, c’est d’expliquer qu’avec les différences des uns et des autres, la collectivité pense mieux, réagit mieux. C’est-à-dire qu’il y a un enrichissement collectif.

Vous auriez un exemple ?

 Il y en a beaucoup, il y en a tant et tant, mais c’est toujours le même principe : est-ce qu’on considère que quelqu’un fait bien et peut apporter, mais d’autres peuvent apporter plus ? Est-ce qu’on considère que quelqu’un, au bout d’un moment, ce serait un renouveau pour lui ailleurs et qu’ailleurs il pourrait apporter ce qu’il est, alors que là il est resté tant de temps et il faut que ça change. Chez les protestants, par exemple, il y a un système formidable : cinq ans, sept ans, onze ans, point. Au bout d’un moment, stop ! J’ai des rabbins qui sont restés à leur poste plus longtemps que Moïse à la tête d’Israël. Moïse est resté quarante ans et j’en ai qui sont restés cinquante-trois ans. Et bien vous savez quoi ? Les dernières années c’était compliqué. Pas parce que le gars n’est pas formidable. Évidemment qu’il est formidable ! Mais la nature de la répétitivité des choses et de la vie fait que ce qu’on aime faire on le fait, ce qu’on n’aime pas faire on ne le fait pas. Donc ça peut marcher sur dix ans, onze ans, un autre viendra et fera l’inverse. En revanche je trouve que c’est long. Ceux qui ont été mis de côté, écartés, se sentent vraiment rejetés et je trouve important de pondérer cela. J’ai connu cela dans les armées. Un commandant de base, il commandait sa base deux ans ou trois ans, puis quelqu’un d’autre arrivait. Partout c’est comme ça. Donc l’enjeu important c’est de séduire et de montrer que ce que chacun et chacune peut faire est nécessaire, utile, important, à condition de laisser la place aux autres pour faire.

Entretien réalisé le 4 octobre 2018

 

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