Haïm Korsia : éthique au quotidien

Transcription de la vidéo

Le questionnement éthique est à pratiquer à tout instant, dans la moindre de ses relations avec autrui ?

Oui, c’est en tous cas comme ça que le judaïsme le voit, avec une logique qui peut paraître étonnante, qui consiste à rester une bénédiction, c’est-à-dire à ne jamais rendre un acte anodin automatique. Je mange une pomme, je dois dire merci à quelqu’un pour cette pomme. Elle n’est pas arrivée dans ma main par hasard. Il y a eu toute une chaîne de compétences qui a amené cette pomme jusqu’à moi, y compris la première compétence, celle de Dieu, qui a fait advenir la pomme. Alors ensuite il y a quelqu’un qui l’a cueillie, quelqu’un qui l’a nettoyée, quelqu’un qui l’a conditionnée, quelqu’un qui l’a vendue, quelqu’un qui l’a achetée et quelqu’un qui me l’a amenée. Et tout ça c’est en fait en remerciant qu’on se pose la question de notre nécessité d’être en lien avec les autres. Donc oui, c’est une démarche de chaque instant. En toute chose.

Ce n’est pas si facile à pratiquer dans la vie moderne…

Si, si. Quand vous étudiez le Talmud, par exemple, vous avez des formules étonnantes, qui peuvent même paraître lourdes. Rabbi Eliezer a dit au nom de Rabbi Moshe, qui a dit au nom de Rabbi Tarfon, qui a dit au nom de Rabi Shoa, qui a dit au nom de Rabbi Akiva... Il n’a qu’à nous dire ce qu’a dit Rabbi Eliezer, point, ou ce qu’a dit Rabbi Akiva ! Non, il y a une sorte d’historicité de la pensée, au point que le Talmud, dans le traité Méguila dit : « Quelqu’un qui énonce une parole sans la rattacher à celui qui l’a prononcée, détruit le monde. »

De là on déduit que c’est important d’empêcher quelqu’un de s’approprier ce qui ne lui appartient pas. Autrement dit, on est en train de construire une logique de dette permanente aux autres. Et vous remarquerez que c’est le Talmud qui l’énonce, c’est-à-dire que ça a deux mille ans, et que c’est un des enjeux majeurs : les plagiats universitaires. C’est-à-dire comment on peut utiliser une pensée de quelqu’un, mais qu’on doit la citer.  Pourquoi on doit la citer ? Pas parce que c’est bien, mais parce que ça permet de revenir à la source, et donc de pouvoir contrer l’argument premier qui a été énoncé, alors que s’il est énoncé sans source, je suis perdu, je ne peux pas le contrer. Donc en fait c’est toujours la même interrogation éthique : non pas seulement ce que je dois aux autres, dans la pensée, dans l’action - la pomme qui arrive à moi -, mais ce que je vais apporter à l’histoire du monde ; ça c’est différent.

Mais est-ce qu’à chaque instant de chaque action il possible d’avoir cette pensée ? Vous étiez par exemple occupé à répondre à des invitations...

En l’occurrence, j’essaye de faire ça. Mais ceci dit, chacun le fait. Une invitation : de qui ça vient, qu’est-ce qu’il veut par cette invitation, qu’est-ce qu’on a partagé ensemble, qu’est-ce qu’on veut partager ensemble ? Mon secrétariat, tout le monde sait ici qu’aux amis on dit toujours oui. Alors ça peut être tel prêtre que j’ai croisé quand j’étais jeune rabbin à Reims, tel pasteur, tel imam. Trente cinq ans après s’il me demande quelque chose, c’est oui. Donc « oui » a une évaluation permanente, et c’est pour ça que je sais très bien que c’est ridicule quand on dit « je ne peux pas ». « Je ne peux pas », il faut le pondérer par « pourquoi ». En fait, comment hiérarchiser les choses.

Entretien réalisé le 4 octobre 2018

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