Boris Cyrulnik – sensibilisation

Transcription de la vidéo

Comment développer ces valeurs d’empathie, d’attention à l’autre, d’altruisme ?

L’art, le théâtre qui, chez les Grecs, a même une fonction démocratique. Toutes les formes d’art, qui passent leur temps à changer, parce que chaque culture invente l’art qui lui parle. Toutes les formes d’art… Guernica, c’était une manière de peindre comment une aviation avec des bombes peut détruire un village sans armes. Guernica. C’était un scandale. Après la Guerre de 40 et aujourd’hui c’est la banalité, mais ça a été un scandale à l’époque de Picasso. Donc l’art, la poésie, les comptines, « Bonjour mon cousin, bonjour ma cousine, on m’a dit que vous m’aimiez et c’est bien la vérité ». La lutte contre l’inceste : on peut apprendre à un enfant qu’il y a des règles et qu’il y a des interdits.

Et là ça répond à la question que vous m‘avez posée il y a une heure : la nécessité de l’interdit. Parce que l’interdit structure l’affectivité : je ne peux pas exprimer mon désir n’importe comment, je ne peux pas me permettre n’importe quoi, je suis obligé de tenir compte de ce qui se passe dans son monde à elle, à lui, pour exprimer mon désir. Je ne peux pas tout me permettre. L’interdit est une structure affective qui nous permet de vivre ensemble, de coexister. Dans un monde sans interdit il n’y aurait que des rapports de violence. Or l’interdit est une amputation de soi : je m’ampute d’une partie de mes désirs pour ne pas faire de mal à l’autre. Je me fais du mal à moi, puisque je ne réalise pas tous mes désirs, pour ne pas trop lui faire de mal, à elle ou à lui. Donc je ne peux faire ça que si autour de moi, il y a eu des gens qui m’ont invité au décentrement de moi par la comptine, par la chanson, par la littérature enfantine. Les contes pour enfants sont tous des contes d’horreur. L’inceste : Peau d’âne ; l’abandon : Le Petit Poucet. Ce n’est que des contes d’horreur ! Je travaille très souvent au Proche-Orient. À quoi jouent les enfants ? à la guerre. Et pourquoi joue-t-il à la guerre ? Cela leur permet de familiariser une horreur insupportable. « Je serais le héros, et toi tu serais infirmière et tu nous guérirais. » Le fait de faire une représentation au sens théâtral du terme les sécurise. D’où l’importance du cinéma, l’importance de la lecture, l’importance des rencontres affectives.

Dans les rencontres, si ce sont de vraies rencontres, on fait un progrès. Mais très souvent dans les rencontres, on se rend compte que le fossé s’aggrave parce que chacun se sépare. Ce qu’on ne fait pas au cinéma, ou rarement. J’ai vu un film, Persépolis, un dessin animé. Je savais que la condition des femmes en Iran n’était pas terrible. Mais c’était une connaissance, comme on l’a dit tout à l’heure, je le savais intellectuellement ; ça ne me bouleversait pas. Bon, ben voilà, c’est la condition des femmes en Iran ! Mais quand j’ai vu ce dessin animé, je vois une petite fille qui grandit. Plus elle grandit, plus elle est entravée. Avec un dessin animé, j’ai éprouvé une émotion et je me disais : « Mais les femmes en Iran sont de plus en plus entravées ! » et j’ai éprouvé, moi, grâce à un dessin animé, quelque chose que j’avais compris sans émotion quand ça n’était qu’intellectuel. Je pense que le décentrement de soi, le travail de l’empathie est permis par les artistes, et je mets les psychologues et les psychiatres parmi les artistes.

 

Entretien réalisé en septembre 2020

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