Marie-France Hirigoyen – éthique et expériences vécues

Transcription de la vidéo

Pourriez-vous nous raconter une expérience de votre vie qui vous a mise face à un dilemme éthique, et comment vous l’avez résolu ?

J’ai un souvenir, quand j’étais étudiante en médecine, quand j’étais externe, j’étais à Bordeaux. Un jour il y avait une grande visite. Vous savez, dans les hôpitaux il y a le patron.  Alors le jour de la grande visite, il y a le chef de service, les chefs de clinique, les internes, la surveillante, les infirmières, les externes, les aides-soignants, enfin tout le monde est là ; ça fait au moins vingt, trente personnes, ça fait beaucoup de monde, et tout le monde rentre dans la chambre du patient. Et j’ai le souvenir d’une situation où le patron, avec sa cape sur sa blouse blanche, prend un patient, le patient qui était là dans la chambre avec tout le monde, le dénude entièrement, pointe le doigt vers les petits externes qui étaient derrière, vise en l’occurrence moi qui étais la seule fille du groupe et dit : « Mademoiselle, allez examiner ce patient ! » et me demande de palper ses organes génitaux, comme ça devant trente personnes. Le patient était tout rouge, moi j’étais toute rouge, je savais que si je ne faisais pas un commentaire clinique sur ce..., j’allais me faire démolir; le patient n’osait rien dire, et j’ai trouvé que c’était une situation particulièrement humiliante. Déjà les grandes visites comme ça se passait, comme ça se passe toujours un peu, c’est déjà quelque chose qui est déplaisant pour le patient, mais là c’était vraiment déplaisant pour tous.

Voilà, ça c’est une situation que maintenant je qualifierais comme violente, comme une violence, qu’à l’époque je sentais que ce n’était pas normal, mais je n’ai même pas à l’époque osé dire à qui que ce soit que j’avais trouvé ça anormal. Tout ce qui importait, à l’époque, c’était que je dise, que je fasse le bon diagnostic. Et en fait ce n’était pas ça qui était l’essentiel ! La preuve, c’est que je ne me souviens même plus du diagnostic, enfin vaguement, mais par contre je me souviens de l’humiliation et ce qu’avait ressenti ce patient. Alors vous voyez, ça ce sont des…, je trouve ça, je ne dirai même pas que c’est une petite chose, parce que finalement maintenant ça m’apparaît une grande chose, mais à l’époque c’était juste un embarras, on va dire.

Entretien réalisé le 28 janvier 2011

 

 

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