Gérard Klein − transmission de l’éthique

Transcription de la vidéo

L’éthique, ça s’enseigne ?

A l’école, ça commence. Ça commence dans la cour. Ça commence dans la cour de l’école. Nous, on avait des blouses, c’était très bien : on était tous habillés pareil. Il n’y avait pas de différence. Ça doit commencer, à mon avis, en gommant les différences, parce qu’il n’y a pas de différences entre les gens. Mais on invente, on a inventé le commerce, les marques et les trucs. C’était quand même inventer des différences entre Nike et machin et tout. On a entretenu cette notion de racisme, on a bien exagéré, exacerbé le côté..., et on monte les gens les uns contre les autres. Donc peut-être qu’à l’école ça peut commencer. Dans les associations qu’on fréquente, Léo Lagrange, on a vu des trucs vachement bien, qui forment les citoyens à l’école. Les petits enfants, ils ont six ans, ils ont sept ans, en maternelle, tout le monde est ensemble, tout le monde essaie de participer à la décision, en disant : « On va faire ci et ça… » Ça commence inévitablement à l’école ! Ça peut commencer dans la famille, mais ça dépend des familles. Moi, ça a commencé peut-être à l’école, c’est pas mal l’école !

Et au service militaire. C’est dommage, parce que le service… Moi, j’ai fait un service militaire. Et là, on nous apprenait un truc qu’on avait appelé la discipline, mais en fait, qui à terme finissait quand même sur : « Je respecte mon copain qui est dans la chambre, on est dix dans la chambre, il ne sait pas lire, on va lui apprendre à lire. » Je l’ai vécu.  Et on était tous habillés pareil, on était tous dépendants d’un mec qui nous disait : « Garde-à-vous ! Repos ! » Et même si ça paraissait con de l’extérieur, ça faisait des groupes, ça serrait les gens les uns contre les autres. Et si on arrive à les serrer les uns contre les autres, il y a moins de conflits, il y a moins de problèmes.

Mais je me suis rendu compte que les enfants ont beaucoup changé et que cette naïveté, elle est en train de s’en aller. Et que les arrière-pensées arrivent. Parce que la Gameboy, l’écran, l’ordinateur, ça les projette vers un monde qui est virtuel complètement et qui n’est pas la réalité. On est en train de changer les enfants, en réalité. Je pense que s’il y a un ennui à ça, c’est qu’on est en train de quitter l’éthique dont vous parlez et on est en train de les éloigner les uns des autres, vraiment. Alors qu’on nous fait croire que, par internet, on se rapproche. C’est faux, pour moi c’est faux. Et c’est troublant, parce qu’on s’en rend vraiment compte. Ce ne sont plus tout à fait les mêmes enfants. Je ne sais pas ce qu’il faudrait faire.

Est-ce que vous voyez des dimensions positives à ce changement ?

Une dimension positive c’est qu’un enfant de dix ans aujourd’hui est beaucoup moins niais que nous on pouvait être à dix ans. Il est ouvert sur le monde, il a découvert énormément de choses. Et c’est peut-être parce qu’il a découvert énormément de choses qu’il va pouvoir réagir, mais encore faut-il qu’il ait le pouvoir. On en revient toujours à la même chose. Parce que là maintenant il faut vraiment réagir. Tout le monde monte des fonds de commerce en disant : « On va sauver la planète ! » La planète d’accord, mais elle restera toujours planète. C’est nous qui allons être vraiment dans la merde. Peut-être que ça commence par nos comportements. C’est certain. Et les enfants ont changé, oui.

Concernant l’éducation des enfants, avez-vous une expérience éthique originale que vous auriez vécue ?

A l’école, il ne faut pas rire. Depuis toujours on nous prive de rire, il ne faut pas. C’est grave le rire. Alors que c’est un vrai moteur, c’est du carburant je veux dire, pas un moteur. Les gros mots c’est pareil. Moi j’ai appris tous les gros mots à nos filles, avant qu’elles aillent à l’école. Je leur ai dit : « Vous allez aller à l’école, vous allez voir : con, bite, couille, machin et tout. Je vais vous expliquer. » Et elles revenaient de l’école et elles disaient : « Vraiment ils sont nuls les mecs. Il y en a un qui a dit ‘couille’, ils étaient tous morts de rire.» C’est con, mais c’est vachement important. L’autre jour j’étais avec Zelda qui a dix ans, qui est la fille de Marie-Pierre – Marie-Pierre qui est l’une de nos filles –, et son petit copain. On était dans les bois, dans la forêt. Françoise et moi on les a emmenés pique-niquer, on les a perdus dans les bois, ils voulaient se perdre… Evidemment on ne les a pas perdus ! Et on avait la vieille Peugeot qui est là. Il y avait un chemin avec du sable, là juste à côté. Puis je roule, la nuit était là, ils étaient contents. Je roule dans le chemin et je fais semblant d’être enlisé : « Ah merde, merde, on est enlisés !» Et puis j’accélérais et évidemment ça ne marchait pas, je n’embrayais pas. Je dis : « Il y a une seule solution. C’est une voiture à gros mots : cette voiture, elle ne peut fonctionner qu’avec des gros mots, sinon elle ne marche pas. Alors si vous arrivez à sortir, Zelda, et toi Zaccharie, si tu arrives à sortir, mais vraiment des gros mots monstrueux, on va peut-être s’en sortir. Sinon on dort là, on est dans la merde. » Evidemment les autres rigolaient. « Alors allez-y ! » J’entendais : « Merde ! » J’accélérais, je disais : « Non, non, nul ! Ça ne marchera pas. » Puis après c’est Zelda qui a dix ans, qui est bien élevée, qui est belle, qui a les yeux bleus comme ça, qui est très fine, qui s’est mise à sortir des trucs : « Putain d’enculée de bagnole de merde ! » Vroum ! Oh, la bagnole ! « Ouais, super allez-y, continuez ! » et eux ils ont fait des tonnes de gros mots. Eh bien c’est vachement important. Parce qu’au moins les gros mots - évidemment ils ne vont pas les dire n’importe où-, parce que pour eux, le gros mot, il est associé à un truc hyper drôle. Donc qu’est-ce qu’ils vont aller dire « putain d’enculé » dans la cour ? En revanche, s’ils l’entendent, ça va les faire rire, parce qu’ils vont se rappeler… Je vous jure que c’est vrai !

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