Gérard Klein – éthique et expériences vécues

Transcription de la vidéo

Pourriez-vous nous raconter d’autres événements de votre vie qui vous ont mis en face de dilemmes éthiques, et comment vous les avez résolus ?

J’ai toujours eu une envie, depuis que je suis petit, c’était d’élever des vaches. Et en travaillant, j’ai réussi à trouver l’argent pour « réaliser mes rêves », entre guillemets. Ça n’a jamais été un problème l’argent, parce que je m’en fous complètement. Quand tu as envie de faire des trucs, tu te dis : « Comment je peux faire ? Il faut trouver des ronds. » Comment tu trouves des ronds ? Soit tu braques des banques, mais je ne sais pas faire ça. Soit tu te dis : « Dans ce que je peux faire, je vais essayer. » Donc, j’ai réussi à avoir une ferme, à acheter une ferme, cent hectares, magnifique, un lieu superbe, et à élever des vaches de Salers : des vaches rouges, qui pour moi sont… bon, c’est bête, les vaches les plus abouties du monde parce qu’elles ont un mental très particulier. Elles sont très fines, elles sont vachement attentives, elles ont un physique extraordinaire, elles sont d’une souplesse, d’une agilité ! Elles ont toutes les qualités pour moi. Donc, j’ai réussi dans ma vie à élever des rouges, des vaches de Salers, qui avaient des papiers. C’étaient de très beaux animaux. Il y avait un employé agricole, qui n’avait pas mes motivations, qui ne balayait pas suffisamment, ce qui fait que dès que j’arrivais, je balayais, je balayais. J’aime quand c’est propre. Tous les paysans rigolaient, tout le monde était jaloux parce que, « Pourquoi ce connard de la télé, il a acheté la ferme ? » Et mes animaux, je les ai élevés en leur donnant une alimentation un peu particulière : d’abord, sur mes prairies, je n’ai jamais mis ni lisier de porc, ni engrais chimique, ni azote, rien du tout. J’avais donc moins de volume d’herbe, mais j’avais une variété dans ma flore, que j’entretenais en ressemant un peu de ceci ou de cela, et donc la viande prenait des parfums, au printemps, extraordinaires. Tout le monde s’est foutu de ma gueule. Je n’ai eu aucune aide, aucune prime, la prime à l’herbe, etc. Je n’avais rien du tout. Je n’avais pas ces avantages-là, donc je faisais L’Instit, de la pub, et je rentrais des ronds pour faire vivre cette affaire.

Dans l’alimentation que je leur donnais, intervenaient des graines de lin qui sont travaillées en Allemagne, parce que nous on ne sait pas le faire en France. Ces graines de lin font que l’animal qui les mange va fabriquer des oméga-3, qui sont des acides gras insaturés. Ça veut dire, en gros, que leurs molécules, au lieu d’être belles et harmonieuses – les carbones, les hydrogènes, les oxygènes et tout –, il y a des cassures dans la chaîne. Moi, je comparais ça à un rince-bouteille, je disais : « C’est con, la chaîne est cassée et donc quand ça va passer dans ton corps, ça va nettoyer ! » Et c’est un peu ça. En étant extrêmement simpliste, c’est un peu ça. Donc, ces oméga-3, c’était il y a quinze ans au moins, personne n’en parlait. Sauf un gars que j’avais rencontré, vachement bien ! Tous les paysans se foutaient de ma gueule, évidemment : « Les oméga-3, et tout ça ! » J’ai continué et j’ai eu le Mérite agricole, parce que quand même, des mecs ont dit : « Ce n’est pas con, il a raison, les oméga-3 ! » Il y a quinze ans !

Et après, il y a quelques années, j’ai arrêté les vaches, comme j’ai arrêté L’Instit, et je me suis dit : « C’est bon, maintenant on va passer à autre chose, on va passer au temps, prendre le temps. La lenteur dans le silence. » Et tout le monde s’est moqué de moi ! Mais tout le monde s’est foutu de ma gueule ! Et on m’a fait, là-bas, en Auvergne, tout ce qu’on pouvait me faire ! C’est-à-dire, tous les contrôles sanitaires, pas sanitaires, compter les vaches, remboursement de ceci, contrôle fiscal avec une amende parce que les vaches, je les avais vendues là, mais ce n’était pas à cette société qu’il fallait les vendre… On a tout eu, mais tout, tout, tout ! Et alors, tu te demandes pourquoi et ce n’est pas de la parano. Ils sont venus compter les vaches ! Des voisins ont dit : « Ces vaches sont tuberculeuses ! » Elles n’étaient pas tuberculeuses ! Du coup, ils ont tué douze vaches chez le mec d’en face, parce qu’elles étaient, elles, tuberculeuses. Donc ma seule issue, ma seule réaction à tout ça, c’est de rigoler ! Je rigole ! Qu’est-ce que tu veux faire ? Qu’est-ce que tu veux faire contre la Chambre d’Agriculture qui n’aime pas l’autre con de la télé ? La DDA, Direction Départementale...

Au bout d’un moment tu te dis : « Mais pourquoi est-ce qu’on me fait ça ? » Et puis, tu te rends compte que… Je crois que c’est une vraie question en France – on est Français, contentons-nous de notre pays –, ça, cette espèce de mentalité bizarre. Pourquoi est-ce que les gens sont jaloux de quelqu’un à ce point ? Donc on a tout eu.

En même temps, Françoise avait fabriqué, construit un très beau chantier d’un an, un hôtel-restaurant dans le village, en bas, et on a tout eu. C’est très beau, c’est très simple, ça marche très bien… Elle a tout eu, les contrôles de tout ! Par exemple, il y a eu dix ou onze établissements contrôlés en France, pour… je ne sais pas, des prêts, des machins. Evidemment, nous on est dedans, alors que c’est le trou du cul du monde ! C’est un petit village qui est gros comme ça... On a tout eu ! C’est quand même marrant !

Quand vous vivez des expériences comme ça, qu’est-ce qui se passe en vous ?

Moi, je ris. Je ne suis pas du tout révolté, je ne déteste personne, mais je m’en vais. L’Auvergne, c’est terminé. Je n’ai aucun regret, puisque j’ai élevé les vaches comme je voulais le faire et elles étaient vraiment réussies, la ferme était propre, les prés étaient respectés, tout vivait comme à l’origine. Donc, je ne regrette pas. L’hôtel-restaurant on l’a revendu aux petits jeunes qui sont dedans. Ce que Françoise a fait, c’est magnifique de simplicité, c’est vraiment bien, donc, on ne regrette rien. Mais moi, je m’en vais, c’est fini, je ne vais pas continuer à fréquenter ces gens qui sont en fait bourrés d’arrière-pensées.

On ne sent ni colère ni esprit de vengeance dans votre réaction. Comment expliquez-vous cela ?

Même si ça paraît bizarre, c’est plutôt un apaisement. On a un feu, on a une envie… Pendant vingt ans, j’ai « fait de la pub », entre guillemets. Toute la communication que je faisais, même autour de L’Instit, elle était essentiellement basée, axée en Auvergne, sur ces territoires qui sont vraiment magnifiques, le petit village de Blesle, qui est un très beau village. Et encore une fois, ce n’était pas pour ma gloriole personnelle, ni pour gagner de l’argent, pas du tout. C’est parce que je trouve que ces lieux sont tellement beaux que, si on les fait visiter ou si les gens de là-bas se sentent regardés par d’autres personnes, regardés avec tendresse, – des gens qui vont dire : « C’est magnifique chez vous, ce que c’est beau ! Et vous, c’est extra, qu’est-ce que vous faites ? » –, ça peut aussi peut-être changer leur vie. Ce n’est pas mal parfois d’être regardé avec douceur par des gens. Parce que dans ces régions-là, ce n’est pas doux. Ce sont des régions qui ont été très longtemps isolées. Et en fait, erreur ! De quoi je me mêle ? Après, je me suis dit : « Mais de quoi tu te mêles, mon pote ? » Donc, c’est fini, c’est bien fini, et ça apaise, je trouve ça pas mal.

Avez-vous cherché à comprendre ce qui, en vous, vous permet de ne pas ressasser les expériences négatives que vous avez vécues ?

Oui, j’ai cherché, bien sûr ! J’ai cherché beaucoup ! Parce que quand on tourne, quand « on fait le comédien », entre guillemets, on a plein de possibilités pour son comportement. On peut faire ce qu’on veut, on peut boire, être le comédien ou la comédienne chiante, et puis gérer ses angoisses. Ça fait peur, malgré tout ! On te demande de gérer une schizophrénie, en fait, quand on est comédien. Donc il faut arriver à comprendre ça !

Et au lieu de ça, beaucoup de choses sont arrivées par hasard dans ma vie, vraiment par un hasard déclenché par : si le principal ne m’avait pas refusé cette bourse, je n’aurais jamais fait de radio pour vivre, donc je n’aurai jamais fait ce métier-là. Donc je le remercie, je suis vachement content ! Et puis, peut-être que mes deux derniers escrocs, ils vont provoquer… En tout cas, ils ont provoqué un truc. Je me suis dit : « Merde, là – c’est tout récent – j’ai perdu de l’argent qui était à nous deux – on vit ensemble –, et à nos enfants. Cet argent n’est pas à moi. Même si c’est moi qui l’ai gagné, c’est elle qui l’a gardé, donc, c’est pareil… Il faut que je trouve une combine, il faut que je les regagne ! Comment je peux les regagner ? » C’est vrai ! Alors, je me suis dit : « Pour les regagner, il faut que je fasse un truc que je sache à peu près faire. Il faudrait que je fasse l’acteur. Oui mais si je fais l’acteur, comment je vais faire ? » C’est difficile d’aller voir des gens et dire : « Bonjour, je veux bien faire un chauffeur de taxi, je veux bien faire un mec qui livre, bref des conneries… » Donc je me suis dit : « Comment je peux faire?» Alors j’ai un vieil ami, Jérôme Laperrousaz. Avec Jérôme on se connaît depuis toujours, aussi. J’ai dit à Françoise : « Voilà, je me suis fait baiser, d’accord. Eh bien, je vais faire un truc qui va vraiment me faire plaisir : avec Jérôme, on va faire un film en Guyane. » Parce que j’adore aller en Guyane. Maintenant je connais plein de gens et j’adore, j’aime ce pays ! Eh bien, au lieu de me lamenter sur le blé que j’ai perdu, je me suis dit… Ça n’a rien à voir, évidemment, je ne vais pas récupérer de l’argent, mais ce que je veux dire, c’est que cette espèce de défaite, elle est beaucoup plus dans l’âme que dans le porte-monnaie ! Bon, tant pis…

Donc c’est une blessure, donc pour cicatriser une déception, je trouve qu’il faut se faire un gros bonheur, un gros truc. Donc ça y est ! Je dis à Françoise : « Voila, on va faire ça, est-ce que tu es d’accord ? » Puisque c’est elle qui fait les chèques, en fait, c’est la gérante, c’est la chef. On a réfléchi, et depuis un petit moment –hier encore on était à Paris, on a vu des gens vachement bien –, donc on fait un truc de groupe. Et je trouve ça vachement bien, parce que cet échec peut séparer, ou elle peut dire : « Alors, tu bouffes l’argent du ménage ? » Ou bien au contraire, on peut dire : « Bon, allez, on fait un autre truc ! » Et on oublie. Il vaut mieux oublier ces trucs-là sinon, tu es malheureux tout le temps.

Entretien réalisé le 2 novembre 2007

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