Maurice Ruben-Hayoun – motivation à l’éthique
- Nom: Maurice-Ruben Hayoun
- Thèmes: Motivation
Transcription de la vidéo
Est-ce que vous pensez que mener une vie éthique nécessite des efforts sur soi ?
L’éthique n’est pas une donnée immédiate de la conscience, pour parler comme Bergson. L’éthique est une ascèse. Ascèse, en grec, ça veut dire un exercice pénible.
Qu’est-ce qui peut motiver quelqu’un à faire cette ascèse ?
Je crois – je vais être incurablement naïf –, je pense qu'il y a dans l’homme, en chacun d’entre nous, une graine, une volonté de faire le bien. Même si c’est une idée qui est de plus en plus contestée, même si on voit les horreurs que l’espèce humaine peut commettre. Vous connaissez la phrase latine : « Homo homini lupus », « l’homme, un loup pour les autres hommes. » Une sorte de tendance naturelle, un penchant naturel vers le mal. Je rappelle que dans la Genèse – la Bible que l’on méprise tant –, Dieu, avant de faire le déluge, dit : « Je m’aperçois que le corps de l’homme, ce n’est que méchanceté depuis sa jeunesse. » Mais je désavoue respectueusement ce Dieu, car Il n’a pas trouvé d’autres moyens pour réformer l’humanité que de la détruire. Ce qui n’est pas une méthode que je préconiserais. Il a voulu réformer l’humanité, Il a baissé les bras et Il l’a détruite. Moi je pense qu’il y a un moyen terme. Donc, l’éthique ce n’est pas facile.
Pourriez-vous nous en dire plus sur cette « volonté de faire le bien » ?
A mon avis, c’est un sens inné qui te pousse dans la vie à aider tes semblables, à te porter au secours de quelqu’un qui trébuche, de quelqu’un qui a besoin d’une aide si tu peux la lui apporter. Je pense que c’est quelque chose qui est renforcé par l’éducation mais qui n’est pas créé par l’éducation, qui est en chacun d’entre nous, parce qu’il y a une solidarité humaine, il y a une solidarité avec l’humanité souffrante. Encore ici une phrase du Talmud : un sage qui s’appelait Rav Houna discutait avec ses collègues à l’académie et il demandait : « Finalement, Dieu est avec qui ? » Sacrée question! Il est avec qui ? Il est avec nous. Oui, Il est avec nous, mais quand on a fait des tas de fautes, quand on a enquiquiné le monde entier… Et c’est Rav Houna qui conclut et dit : « Dieu est avec ceux qui souffrent. » C’est très important, ceux qui souffrent. Et tout le monde souffre, tout le monde souffre. Je pense qu’il y a une solidarité humaine, je pense qu’il y a quelque chose, il y a une voix intérieure. Par exemple, quelqu’un qui ressent des remords. Les remords c’est quelque chose qui vous « mord de nouveau ». S’il y a des remords, ça veut dire qu’il y a quelque chose en vous qui réclame, qui dit : « Tu n’as pas bien agi, tu n’aurais pas dû faire ça ou tu n’aurais pas dû répondre ça, ou tu n’aurais pas dû te dérober. » Et l’éthique juive est extrêmement dure. Evidemment elle n’est pas très pratiquée, comme toutes les éthiques exigeantes, dans toutes les religions ou dans toutes les doctrines morales. Par exemple, Kant qui avait une mère qui était quiétiste, avait dit ce fameux impératif catégorique qu’on a tous appris : « Que jamais un être humain ne soit un moyen mais une fin ! » Mais enfin, on est à des années-lumière, on est à des années-lumière ! Et pourtant, tous les écoliers qui atteignent entre seize, dix-sept ou dix-huit ans, au bac, lisent Kant ou l’entendent ânonné par leur professeur de philosophie. C’est quelque chose qui est merveilleux, l’éthique ancienne ! Vous savez ce qu’avait dit Péguy ? Il avait dit : « Kant a les mains blanches, trop blanches. C’est pour cela qu’il n’a pas de mains. »
C’est comme ce que disait Freud à propos du verset du Lévitique que j’ai cité au début de l’émission : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Il dit : « Mais c’est impossible, mon prochain je voudrais bien le bousiller, le zigouiller. » Mais non, ce n’est pas tout à fait vrai, mais il y a une rivalité. Et il nous dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ! » Comment voulez-vous faire ? Et pourtant, c’est quand même un idéal vers lequel nous tendons. Et ça, c’est quand même fondamental. L’humanité est en marche, elle est en marche.
Entretien réalisé le 6 décembre 2007