André de Peretti – définition

Transcription de la vidéo

Comment définiriez-vous l'éthique ?

Le problème de définition est un problème qui suppose d’innombrables dictionnaires, pour voir les choses, surtout quand on parle d’un terme grec. Mais premièrement, je ne séparerais pas ma définition d’un ensemble, dans lequel j’associe éthique, esthétique également spiritualité et également aussi l’aspect maïeutique, l’aspect qu’on crée. Donc c’est un ensemble. Les réalités humaines sont de moins en moins séparables dans leur conception et ce sont leurs interactions dans la complexité - chère à mon ami Edgar Morin, ainsi que Jean-Louis Lemoine et quelques autres -, ces interactions, cette dialogique qui est la plus importante. Séparer les choses, ça fait partie d’une mentalité donc coupant, séparant les réalités et qui malheureusement était très encouragée en France par notre langage. Parce que notre langage est un langage qui n’a pas l’aspect des choses en train de se faire, du –ing britannique ou de l’équivalent allemand, dans lequel les choses sont « se faisant ». En France, non, c’est tout ou rien.

Et donc, là-dessus, l’éthique est séparée de l’esthétique, et séparée de la spiritualité, et séparée de la laïcité. Tout se sépare et donc entraîne plutôt des phénomènes conflictuels que des phénomènes coopératifs. Alors c’était ma première réflexion, si vous voulez, et définir bien sûr l’éthique, c’est la manière de se sentir soutenu par des valeurs, éclairé par ces valeurs dans un souci d’accueil de l’autre, d’accueil des différentes personnes.

La devise familiale c’était Par pari refertur : l’égal est rendu à l’égal. On n’est ni au-dessus d’un berger ni en-dessous, ni au-dessus d’un prince ni en-dessous, ni au-dessus d’un enfant ni  en-dessous. On est dans une attitude donc de reliance et non pas de séparation et l’éthique, pour moi, trouve son fondement dans la reliance, dans la coopération, dans le respect de l’autre, dans la certitude que chacun a quelque chose à apporter et donc dans un souci attentif à l’autre. Et en même temps, par mes liens avec le psychologue américain Carl Rogers, je reste dans l’idée de la congruance à soi, que l’on doit préserver dans la relation d’acceptation à l’autre, auprès duquel on cherche à être au plus près empathiquement de lui. Mais ces trois aspects, là aussi, sont en roulement et en réciproque fécondation et limitation, pour qu’il y ait justement cette possibilité de trouver un compagnonnage.

Comment reliez-vous éthique et maïeutique ?

Les choses ne sont pas séparables entre les sentiments, les impressions, les prises de conscience. Tout ça joue et il y a un accouchement possible de leur combinatoire et de la réalité, qu’il faut arriver à mettre en place autant que possible et à aider à mettre en place et à permettre aussi qu’il y ait une certaine…, cette maïeutique qui puisse jouer dans l’éducation, qui puisse jouer pour les enfants, qui peu à peu vont voir en eux se dégager des valeurs.

Comment reliez-vous spiritualité et éthique ?

Je suis également inspiré par mon ami Teilhard de Chardin, que j’ai eu la joie de connaître juste avant de finir ma formation d’artilleur et de partir en guerr, et qui m’a orienté vers l’idée, justement, qu’il fallait cheminer avec les autres. On vit avec les autres et on aide les autres à monter dans leurs valeurs. Il ne s’agit pas de leur imposer nos propres valeurs, de voir qu’ils sont identiques à nous, non ! Plus ils monteront haut, plus nous monterons avec, plus on se rencontrera. Il y a cette volonté d’unification, de même qu’elle est cette volonté intérieure à l’être humain et intérieure au phénomène de la civilisation aussi, qui va vers cette rencontre, ce croisement, ce devenir, cette montée dans laquelle éthique et esthétique vont là encore se friser l’un l’autre, se soutenir l’un l’autre.

L’éthique est compatible avec beaucoup plus de possibilités. Elle est profondément liée avec la laïcité, mais la laïcité ne veut pas dire l’interdiction faite d’autres manières de voir, pas plus que les dominantes judéo-chrétiennes de l’Occident n’est quelque chose qui s’impose et qui peut permettre d’oublier les richesses   bouddhiste, du brahmaniste, orientale, toute sorte, japonaise… Il y a une émanation dans l’originalité de quelque chose, qui vient pour être non seulement pour ceux qui en profitent, mais pour être au service des autres, de leur amplitude. D’où pour moi cette vision donc œcuménique, dans laquelle je vois la réalité de l’ouverture, donc qui est en train de se continuer, qui a commencé mais qui se continue dans l’église catholique et dans les rapprochements avec l’orthodoxie, dans les rapprochements avec différentes formes de toutes sortes et dans les rapprochements avec le monde juif, avec le monde musulman. Et moi j’ai travaillé avec mon ami Louis Massignon ; j’ai travaillé à la réconciliation des musulmans et des chrétiens ; j’ai travaillé à la prise en charge de la coopération, chacun restant dans sa richesse, mais allant, poussant et évitant, voyant qu’il y a des différences, mais pensant qu’à terme ces différences vont être créatrices de rapprochements encore plus forts et de dépassements encore plus vrais. Donc laïcité, religions multiples d’Orient et d’Occident, tout ça c’est la spiritualité dans laquelle les valeurs éthiques peuvent se donner des symboliques. Car une pensée purement abstraite n’est plus une pensée. Il faut qu’il y ait des symbolisations, il faut qu’il y ait des significations éclairées, il faut qu’il y ait des fables. Et c’est pour ça que, même dans le cadre de l’éducation, avec un de mes amis, François Muller, nous avons publié des fables et contes pour l’enseignant moderne. On ne peut pas faire un enseignement si, par des fables, on n’anime pas, on n’illustre pas. Il faut illustrer. Et de la même manière et plus généralement, là encore j’en ai peut-être déjà parlé : La Fontaine et Ésope ont apporté des indications sur ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas oublier, ce qu’il faut illustrer, donc dans lequel l’esthétique vient rejoindre l’éthique et la spiritualité, et les unes et les autres se consolidant.

Entretien réalisé le 3 février 2015

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