Stéphane Diagana – sensibilisation

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous a sensibilisé à l’importance de l’éthique ?

Ce qui m’a sensibilisé ? Il y a beaucoup de choses. Petit, c’est vrai qu’on a une vision assez manichéenne du bien et du mal, de ce qui est bien, de ce qui est mal. On a bien sûr les parents et l’éducation, qui nous accompagnent dans ces questionnements, que vous n’avez pas tout naturellement au début. La première chose, le premier moment qui m’a fait regarder les choses différemment quand j’étais gamin, c’est un film, La guerre des étoiles, le deuxième volet : L’empire contre-attaque. J’ai vu que, finalement, le bien et le mal, ce n’était pas si simple que ça. Ça peut être dans un parcours de vie où on peut s’égarer. Ce n’est pas « on est bien ou on est mal », mais c’est un parcours et ça veut dire un travail sur soi, une réflexion. Vous savez, ce côté obscur, ou l’autre. Et puis après il y a eu le sport, qui m’a confronté à cette dimension. Après j’ai pris cela comme un challenge, parce que ce n’est pas simple. Ce n’est pas simple d’être toujours dans le bon chemin, mais je trouve que c’est intéressant en même temps : c’est une quête qui peut durer toute la vie et c’est intéressant d’essayer de s’inscrire dans ce domaine-là et de l’avoir toujours à l’esprit.

Y a-t-il des rencontres qui ont eu une influence particulière sur votre sensibilité à l’éthique ?

Mes parents, bien sûr, première rencontre importante, et puis après, quand j’ai commencé l’athlétisme, les différents entraîneurs que j’ai pu avoir, et en particulier Fernand Heurtebise qui m’a accompagné dans toute ma partie professionnelle et en équipe de France d’athlétisme, de 1988 jusqu’à 2004. Les questions de dopage, les questions de rapport à l’autre dans la compétition : est-ce qu’il faut écraser l’autre ? Est-ce qu’il faut se servir de cette énergie pour dominer l’adversaire ? Ou bien, est-ce qu’on peut se servir d’une énergie plus tournée vers soi, une énergie d’exigence, de rigueur, je dirais une dureté, une exigence plus vis-à-vis de soi, une force engagée plus contre ses faiblesses que contre les autres ?

Dans vos interventions en entreprise, comment abordez-vous l’éthique pour y sensibiliser les managers et les collaborateurs ?

Ce que j’essaye d’apporter, la première chose, c’est tout ce qu’on ne voit pas. Quand on voit ma course, c’est un effort où je suis seul, c’est individuel, on dit que c’est un sport individuel, et j’essaye de mettre en évidence, en amont, tout ce qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour pouvoir en arriver là : arriver à cette autonomie, arriver à ce niveau d’excellence. Et c’est toujours un travail collaboratif. J’essaye de leur faire comprendre que l’excellence est toujours un sport collectif. Il n’y a pas d’excellence sans collaboration. En lisant une publication, c’est déjà s’appuyer sur le travail d’autres personnes. Cette publication en biomécanique ou en biologie de l’effort va nous permettre de mettre en place une stratégie d’entraînement. Ce sont des gens qui travaillent et dont on va pouvoir aller chercher l’excellence pour l’intégrer dans notre projet. Il y a l’entraîneur, bien sûr, mais aussi le médecin, le chirurgien si on a un problème. Tout ça, si on en est là le jour J, dans les starting-blocks ou sur le podium, c’est le fait de la collaboration, de l’interaction et de l’engagement de nombreuses personnes. C’est la première chose.

La deuxième chose que j’essaye de mettre en évidence, c’est qu’il faut respecter l’individu, dans le sens où, quand on lui demande de s’engager dans un projet de performance, quand on lui demande de fournir des efforts, il faut le prendre en compte non comme un outil de performance, comme un OS de la performance. Mon entraîneur aurait pu dire : « Toi, tu vas être spécialisé dans le 400 mètres haies, tu vas être un ouvrier spécialisé du 400 mètres haies et tu ne feras rien d’autre. » Non ! Il faut le prendre dans sa dimension complète pour qu’il puisse s’épanouir, et c’est là qu’il aura le plus de chance de donner le meilleur de lui-même. L’épanouissement passe par le respect et le respect passe par l’explication et le temps de ne pas imposer les choses (même si à un moment il faut prendre une décision ; il y a une hiérarchie). Faire en sorte de créer de l’adhésion et de toujours penser que les gens, même s’ils ne sont pas au même niveau hiérarchique, ont un niveau d’intelligence, un niveau de compréhension. Avoir un regard positif sur ces personnes, pour qu’ils se sentent respectés, impliqués et qu’ils puissent s’engager. J’ai eu un entraîneur, Fernand Heurtebise, qui a fonctionné de cette façon-là, qui ne m’a pas imposé les choses, alors qu’il aurait pu parce qu’il avait son charisme, son palmarès et son parcours d’entraîneur. Il a toujours essayé de me respecter dans ma globalité et de m’expliquer les choses, même si j’étais plus jeune que lui, moins expérimenté. Il a toujours eu ce respect et a toujours parié sur l’intelligence potentielle. « Oui il est plus jeune, oui il sait moins que moi, mais peut-être que je vais pouvoir compter aussi sur son intelligence pour réussir. » C’est donc une forme de respect, parce qu’on a vite fait de se dire que, parce qu’on est plus âgé, parce qu’on en sait plus, le sachant il est là-haut et celui qui ne sait pas est en-dessous et c’est un exécutant. Non, je pense qu’il faut toujours faire le pari de l’intelligence. Ce sont des discussions que j’ai eues en tant que consultant pour France-Télévision. On se dit : « C’est une chaîne grand public, vous savez c’est la fameuse ménagère de moins de cinquante ans, qui… ». J’ai dit : « Non, je veux faire le pari de l’intelligence, je veux décrypter, je veux leur faire aimer ce que j’aime dans le sport et je suis sûr qu’ils sont capables de l’aimer, de se passionner, avec en plus les images qui sont fabuleuses". Et je suis heureux quand j’ai des retours qui vont dans ce sens-là : « J’aime regarder parce que je comprends, je ne regarde plus de la même façon et c’est passionnant… ». Je crois qu’il faut toujours faire le pari de l’intelligence et aider les gens à se développer quand on travaille avec eux, à être heureux.

Mon entraîneur me disait : « Si j’ai bien fait mon travail, le jour de la finale d’un championnat du monde ou des Jeux olympiques, je vais être utile à te tenir ta bouteille d’eau, pas plus, sur le terrain. » Voilà ! Ce n’est pas simple, parce qu’on peut vouloir garder le pouvoir, garder le secret pour garder finalement un lien de dépendance, parce qu’on se dit : « Si je suis utile à tenir sa bouteille d’eau, c’est qu’il n’a plus besoin de moi, c’est qu’il va partir, c’est qu’il va me quitter. » Mais en fait, non ! Il déplace juste son niveau d’utilité ailleurs, ce jour-là. Tenir la bouteille d’eau c’est symbolique, mais à partir du moment où j’ai une grande autonomie, une autonomie qui se développe, lui peut se concentrer sur d’autres éléments. Finalement, c’est ça qui va faire la différence, là où sont les gains marginaux à la fin. Il faut que l’entraîneur puisse s’y consacrer. C’est un peu comme dans l’éducation avec un enfant. Si vous lui tenez la main tout le temps, vous avez une main prise, donc vous ne pouvez pas faire autre chose pour lui.

Entretien réalisé le 28 janvier 2020

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