Stéphane Diagana – droits du corps

Transcription de la vidéo

En tant que sportif de haut niveau, n’imposiez-vous pas à votre corps des choses qu’il n’a pas forcément envie de subir ? N’alliez-vous pas au-delà du droit de votre corps ?

Je discute avec lui. Je me rappelle que je parlais à mes jambes quand je faisais du saut quand j’étais petit : « Allez, un dernier essai, après je te laisse tranquille ! » Je ne fais pas de dissociation entre le corps et l’esprit. C’est un tout. Je dois être un peu un husky, vous savez, ces chiens qui ont envie d’aller courir parce que ça leur fait du bien à la tête. On est dans une société, c’est vrai, où il y a la tête. Si le sport n’a pas la même place chez nous dans les milieux universitaires que dans les milieux anglo-saxons, c’est parce qu’on a vraiment cette dichotomie entre la tête et le corps. Est-ce qu’on le doit à Descartes, est-ce qu’on le doit à nos penseurs ? Je ne sais pas, mais il y a quelque chose de cet ordre-là, et tout ce qui se passe au-dessus des épaules est considéré comme plus noble.

Aujourd’hui je travaille sur des sujets sport-santé, où l’on voit que les choses ne sont pas dissociées. On voit que le corps, notamment dans les maladies neuro-dégénératives, joue un rôle essentiel, et que le mouvement joue un rôle essentiel et va réguler les fonctions de l’hippocampe, qui vont ensuite prévenir l’activité physique. On sait qu’il y a un lien, même dans les maladies neuro-dégénératives, le diabète, etc. Je fais donc encore moins maintenant cette dissociation entre les deux. C’est donc un tout.

Par contre, j’ai toujours surveillé et demandé aux médecins, quand j’avais des problèmes, quels étaient les risques potentiels pour après, parce que j’avais envie de jouer, de faire du sport avec mes enfants, j’avais envie de pourvoir avoir une vie. Et comme j’ai eu essentiellement des blessures musculaires, à part deux fractures de fatigue aux pieds, mais qui ont été bien traitées, tout ça s’arrête quand vous arrêtez de tirer dessus. Le muscle est très résilient ; les cartilages c’est plus compliqué. Donc aujourd’hui je peux pratiquer du sport normalement, sans aucun souci.

En fait, au-delà de ce que la tête imposerait au corps, c’est ce que la tête impose à la tête. C’est-à-dire ce que la tête s’impose à elle-même parfois. Il y a un discours interne entre une pression énorme, de se dire : « Ces événements, ce n’est pas humain ! Porter autant de pression, quand on est dans la chambre d’appel ! » Mais pourtant on le fait, il y a une autre partie de nous qui trouve ça génial. Il y a donc presque cette dissociation entre les deux parties du cerveau, celle qui se nourrit de ça et qui en demande toujours plus, et celle qui de temps en temps dit : « Mais c’est trop de pression, ce n’est pas raisonnable ! » C’est une découverte, c’est une visite, c’est un voyage intérieur en tous points, dans le rapport entre le corps et l’esprit, le rapport au temps. Je dis que j’ai des tranches de vie qui font l’épaisseur du centième, je m’en souviens, je me jette sur la ligne. Aujourd’hui, le centième, dans la vie de tous les jours ça n’existe plus. Mais le sport vous permet d’habiter le temps et l’espace complètement différemment. Tout ça c’est extraordinaire.

Quel regard portez-vous sur les sports extrêmes qui se développent beaucoup ?

Ça dépend de quels sports extrêmes on parle. L’ultra trail ? Ces sports d’endurance plutôt ? On a oublié le corps dans nos sociétés pendant très longtemps, parce que la modernité a chassé le mouvement dans les transports, le travail, nos temps de loisirs, avec beaucoup plus de temps devant les écrans. En réaction, il y a des gens qui tout à coup redécouvrent leur corps. On en était arrivé jusqu’à ces phénomènes-là, pour beaucoup de gens, à découvrir le corps quand il était malade. Il vous parlait quand il vous faisait souffrir. C’est quand même malheureux d’avoir un rapport au corps qui est un rapport de souffrance, parce que le reste du temps on l’oublie et qu’il se réveille par la maladie et les gens redécouvrent le rapport heureux avec le sport en allant marcher, en allant courir. Certains découvrent des sensations, découvrent des capacités, bien au-delà de ce dont ils se pensaient capables et ils vont jusqu’à des ultra trails après avoir commencé la course à pied cinq ou six ans avant. C’est une révélation pour eux qui va bien au-delà du sport, qui les amène même à reconsidérer leur vie, leur capacité de changement sur eux-mêmes, dans leur vie professionnelle ou dans beaucoup de choses. Il faut accompagner ce moment-là, parce que parfois c’est très soudain et ce n’est pas bon, parce que trop de sport brutalement quand on a laissé de côté l’activité physique pendant un moment, c’est un problème. D’un autre côté, le principal problème pour la santé aujourd’hui, santé physique ou mentale, c’est plus la sédentarité et l’inactivité physique que l’excès de sport. Il faut l’accompagner, mais je pense que c’est plutôt positif tout de même.

Entretien réalisé le 28 janvier 2020

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