Stéphane Diagana – expériences vécues

Transcription de la vidéo

Avez-vous le souvenir d’un événement de votre vie qui vous a mis devant un dilemme éthique, et le cas échéant, comment avez-vous résolu ce problème ?

Pas vraiment, je n’y ai pas été confronté. Les choses se sont posées assez facilement pour moi sur ces questions. J’ai compris que le chemin le plus court n’est pas forcément le meilleur, et quand c’est difficile on sent au fond de soi que ce n’est pas le plus simple et on serait tenté par le plus court. Je me dis : « Tiens, là tu peux te dire que ce n’est pas forcément la meilleure voie, donc fais les choses comme ça, suis ta façon de faire, tu as toujours fait comme ça, c’est comme ça que tu le sens bien et que tu te sens en phase avec tes valeurs ! » Tout ce qui brille…, ce n’est pas seulement par rapport à l’éthique. C’est par rapport à mon développement. J’ai dit « non ! » Ça ne va pas nourrir ce que je cherche à nourrir et ça ne va pas m’apporter ce que je recherche vraiment. Donc ça n’a pas été trop difficile pour moi.

Quel a été votre rapport au dopage en tant que coureur ?

Je suis arrivé à l’INSEP, l’Institut national des sports, pour faire court, dans le Bois de Vincennes, en 1988, une quinzaine de jours après les Jeux Olympiques de Séoul. Les Jeux Olympiques de Séoul marquent le premier grand scandale de l’histoire des jeux olympiques en matière de dopage avec Ben Johnson. J’avais vu cette finale, je m’étais dit « Tiens, c’est ça le sport, je vais rentrer dans un centre de haut niveau… » Je savais que c’était ça le sport, je connaissais l’Allemagne de l’Est, on se doutait bien, mais là c’était vraiment une claque dans la figure. Mon entraîneur revenait de là-bas aussi et très vite j’ai compris et je me disais en gros : « On y arrivera ou on n’y arrivera pas ».

Il faut accepter de ne pas y arriver, mais il ne faut pas accepter d’aller vers ça. On mettra huit ans là où les autres mettent trois ans, on y arrivera ou on n’y arrivera pas. J’étais prêt à y aller comme ça, parce qu’en fait ce qui m’a permis d’accepter ça, c’est que je ne suis pas venu à l’athlétisme pour être champion du monde ou champion olympique. Je suis venu à l’athlétisme parce que j’aimais courir. La compétition a été une opportunité : être champion du monde ou être champion olympique n’a jamais été un rêve et au bout d’un cheminement c’est devenu un objectif. Je pense que ça m’a sauvé, parce que de ce fait je n’étais pas dans une logique d’investissement pour un titre. J’étais dans une logique de prendre plaisir à ce que je fais et si possible de devenir champion du monde ou champion olympique. Mais alors ce n’était pas un problème pour moi de ne pas l’être. Ça ne faisait pas perdre tout son sens à ce que j’avais fait. Ce n’était pas des sacrifices. Donc je pense que ça m’a sauvé.

Je pense que quand on se détache du statut et qu’on a une motivation intrinsèque forte, qui est plus tournée vers l’épanouissement, le développement personnel et qu’on se détache du statutaire, on évite beaucoup d’erreurs et on gagne en liberté. Le statutaire est finalement toujours lié au regard que vont porter les autres sur la valeur des choses, la valeur d’un poste, la valeur d’un titre. Et cette dépendance peut vous amener à vous dire : « Il faut que je l’ai pour être aimé ou pour être reconnu. » En fait, avec mes parents je n’avais pas de problème d’affection, pas de problème de reconnaissance. Je suis très content d’être aujourd’hui reconnu pour ce que j’ai fait, qu’on apprécie, mais je suis content qu’on apprécie la façon dont je l’ai fait. C’est souvent ce qui ressort et ma fierté est plutôt là. J’aurais eu du mal à être fier d’avoir réussi en me dopant. En plus j’aurais du mal à transférer cette confiance dans le travail que j’ai aujourd’hui, quand il est bien conduit, réfléchi, quand on sait s’entourer, parce que je me serais peut-être dit : « Mais quelle est ma part de réussite, et quelle est la part du pharmacien ? »

Il y a donc effectivement des stratégies, des choses à mettre en œuvre, mais je pense que si on n’a pas une recherche éperdue d’amour au regard de l’autre, de reconnaissance, on peut éviter beaucoup d’erreurs à mon avis. On peut éviter de se perdre, tout simplement, sans parler du problème éthique. On peut se libérer de tout ça et effectivement rester dans une éthique qui vous nourrit. Un choix éthique qui en même temps ne va pas vous frustrer. Vivre bien un choix éthique qui est un choix de renoncement, finalement, potentiellement. Pour moi c’est un choix de renoncement : « Je serai champion du monde, champion olympique ou je ne le serai pas, mais ce n’est pas grave. Je me nourris du parcours ». Je crois que les questions de bonheur sont beaucoup liées à ça, parce que si on n’arrive pas à se détacher de ces enjeux statutaires, c’est une quête sans fin. On n’a pas répondu au principal problème, on n’a pas nourri ce qu’il fallait nourrir au fond. C’est finalement un pansement sur une jambe de bois. Il y a un intérêt à faire ces choix-là je crois, dans l’éthique par rapport à l’autre, mais aussi par rapport à soi en termes d’apaisement, de satisfaction.

Entretien réalisé le 28 janvier 2020

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