Serge Orru – éthique religieuse, éthique laïque

Transcription de la vidéo

Feriez-vous une différence entre une éthique vécue dans un contexte religieux et une éthique vécue dans un contexte laïque ?

J’aime beaucoup discuter avec un pasteur, un curé, un rabbin, un imam, j’aime beaucoup. J’aime beaucoup. J’aime entrer dans une église russe, une mosquée, une synagogue. Pourquoi ai-je besoin de discuter avec eux ? Parce que je cherche, je les questionne le temps de…, non pas le temps de les acculer, mais en tout cas qu’ils répondent, qu’ils m’épanchent. Éthique et religion… Je suis très méfiant sur la croyance en Dieu. Je respecte, vraiment je respecte ceux qui croient en Dieu. La religion a façonné notre histoire, c’est de l’histoire, mais si les hommes cherchent l’Après ou l’Avant, cela ne doit pas se faire en maudissant les autres parce qu’ils ne croient pas au même Dieu.

Et puis Edgar Morin, à une question qu’on lui posait sur sa croyance en Dieu, a dit qu’il croyait en « l’improbable ». Je me souviens avoir discuté à Essaouira, dans une conférence, avec un Marocain qui me parlait de sa religion, l’islam. Il m’a demandé si je croyais en Dieu, et je lui ai ressorti cette phrase d’Edgar Morin : que je croyais en l’improbable. Il a été surpris, il a longuement discuté avec moi, et cet échange a été un vrai bonheur. A la fin, au bout d’un certain temps de notre conversation, il m’a dit : « Mais mon Dieu aussi est improbable. »

Je n’ai pas de Dieu, mais vous savez très bien que les laïcs sont capables aussi de se battre. Regardez, par rapport à l’écologie ! Notre rapacité, notre suffisance, notre inconscience font que nous allons détruire l’avenir de nos enfants. L’écologie, c’est aussi chercher le sens du monde. Je crois que c’est cela qui doit nous mener : nous devons chercher le sens du monde. Pour trouver le sens du monde, il faut diablement de l’éthique, oui ! L’éthique, c’est peut-être cela aussi : chercher le sens du monde. Et quand l’économie cherchera le sens du monde, peut-être va-t-on trouver le même sens. Et quand il y aura, je dirais ces « connexions », alors nous allons progresser. Je rêve peut-être, c’est peut-être de l’utopie, mais sans utopie, pas de vie.

Vous avez dit: « L’éthique, c’est le partage de l’infini. » Ce mot résonne avec une dimension spirituelle, indépendamment de toute attache religieuse dogmatique.

Oui, je fais la différence entre celui qui cherche et celui qui suit le dogme de sa religion. L’éthique, c’est tenter de se centrer dans un monde décentré. Les religions ont participé à ce décentrage, sinon, nous ne serions pas à ce niveau-là : la misère dans le monde, la non-répartition des richesses, la guerre pour les matières premières ou simplement parce que l’un est musulman, l’autre juif, l’autre est catholique, ou l’autre est d’une ethnie du Kenya ou du Darfour. Ce que j’aime dans le spirituel, c’est qu’il y a une notion de comprendre l’autre, de chercher aussi la vérité de l’autre. L’éthique, c’est aussi changer d’avis. Pas forcément reconnaître ses erreurs, ce qui n’est pas aussi simple que cela. Ça on le fait, je pense, à la fin de sa vie, d’une manière tranquille, quand on a la chance d’aller jusqu’à la fin de sa vie.

Quand on sent la cohérence en soi, on sent soudain qu’on a baissé son centre de gravité. C’est physique, c’est géographique. Et à ce moment-là, on commence à parler aux autres avec plus d’écoute, plus d’attention, à moins répondre, à moins virevolter dans la vie, à moins tenter d’apparaître. Voilà. Mais nous sommes dans un monde où si vous n’apparaissez pas dans l’image, pour défendre la cause pour laquelle vous êtes engagé, il est difficile d’exister. Il y a d’immenses sages, des êtres extraordinaires, des personnalités dont personne n’entend parler, parce qu’ils ne passent pas dans les canaux dits « modernes » : internet, la télévision ou l’ensemble des médias.

Entretien réalisé le 5 février 2008

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