Guy Bedos – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

En tant qu’humoriste, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées sur le plan éthique ?

Moi, j’ai l’air parfois très cynique, très agressif même, etc. Mais c’est un jeu. Je n’ai pas de vraie méchanceté ; j’ai de la colère parfois, mais pas de la méchanceté, et surtout pas vis-à-vis de tel ou tel. Je n’aime pas blesser, personne. J’aime m’attaquer à des idées, qui sont parfois incarnées par des gens que je trouve détestables, en effet. Mais je n’aime pas faire de la peine, pour dire les choses simplement.

Et puis la question s’est posée. Justement, on en revient à Mitterrand : je l’ai fréquenté pendant des années, il est resté président de la République pendant quatorze ans, et après il était malade, on ne s’est plus vu. Il n’empêche que j’ai senti bien des fois que j’aurais pu faire un énorme succès en répétant des choses que j’avais entendues dans le privé, avec lui et d’autres. J’ai des anecdotes qui seraient extrêmement percutantes, soit dans un spectacle, soit dans un bouquin, soit dans un article, même en tant que souvenirs, ce qui me sépare de certains journalistes qui balancent…

Oui, et là c’est une question de morale, de privé et de public. Oui, il y a des confidences ou des scènes, des séquences auxquelles j’ai été confrontées, qui auraient pu faire mon bonheur sur scène ou ailleurs, et que j’ai toujours tenues secrètes. Cela fait partie des choses… je dirais un petit peu, de façon enfantine, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. « Ça ne se fait pas ! » Quand j’étais enfant, on disait : « Ça, ça ne se fait pas! » Je suis un peu comme ça et je l’ai inculqué à mes enfants.

La difficulté, ce serait le respect du secret de l’autre, finalement ?

Oui bien sûr, il y a des dîneurs professionnels – je n’en suis pas – qui sont terribles, qui sont des criminels, parce qu’ils savent une chose et en plus ils amplifient, etc. et on ne peut pas leur faire la moindre confidence : ça fait le tour de Paris en quelques jours, en quelques soirs surtout. Je n’appartiens pas à tous ces milieux-là. Je vis à Paris, j’adore un certain Paris, où j’habite notamment, et je ne suis pas du tout – ou alors très rarement, pour faire plaisir à quelqu’un –, je ne suis pas un habitué des soirées parisiennes, où on se déchiquette, on taille des costards à tout le monde. Cette méchanceté-là ne m’intéresse pas.

Cette dimension ironique, sarcastique que vous utilisez dans vos sketches, ne vous a-t-elle pas valu, parfois, des réactions agressives ?

Ils n’avaient pas besoin, dans ces cas-là, de m’agresser. Le seul fait que l’on m’appelle et que l’on me dise : « Vous avez fait de la peine à untel en disant ceci ou en disant cela publiquement… » J’ai gardé un esprit d’enfance, je suis très joueur, et souvent il faut faire les sous-titres pour dire : « Attends, c’est pour rire quoi ! » Il n’y a pas de méchanceté véritable là-dedans. Oui, ça m’arrive d’avoir à m’excuser auprès de certains, des excuses pour avoir dit ceci cela. Je l’ai dit comme ça, pour rire, et ça avaient blessé dans telle ou telle condition.

Donc le rapport du rire et de l’éthique, ce n’est pas facile à gérer ?

Non, non, mais avec le temps ce genre d’accident ne m’arrive plus. Avec les années j’ai appris à gérer tout ça. Et j’insiste : dans l’humour, il y a des limites, il y a des limites morales. Ce n’est pas du tout de la censure, ce n’est pas de l’autocensure, justement cela tourne autour de la notion de blesser inutilement. Je ne nomme personne, mais je ne considère pas que de se moquer d’une actrice qui a vieilli, par exemple, se moquer du physique, tout ça, soit le summum de l’humour. C’est simplement de la bassesse et de l’imbécillité, puisque ça nous attend tous, dans les meilleurs des cas. Moi je dis souvent que « vieillir c’est le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour ne pas mourir. » Il y a des choses qui font le bonheur de certains de mes… je n’ose pas dire mes copains, parce que je les méprise un petit peu. Le mépris n’est pas une notion qui m’est étrangère ; je ne suis pas parfait. J’aime beaucoup cette phrase, je ne suis pas sûr de la dire exactement, mais je l’aime bien telle que je la dis. Je crois que c’est de Chateaubriand, qui dit : « Économisons notre mépris, eu égard au nombre de nécessiteux ! »

Il y a des gens, avec le temps, que je regarde comme s’ils n’existaient pas. C’est très difficile de me blesser, moi, parce que j’ai été gâté par tant de gens que j’estime. J’ai rencontré des gens formidables. Mes enfants sont grands, mais à l’époque je leur disais couramment, paraphrasant Sartre : « L’enfer c’est les autres, le paradis aussi. » Tant est que ces deux lieux existent. Mais on se console toujours les uns avec les autres. Je ne pourrai jamais devenir véritablement misanthrope : je suis coléreux, il y a des choses qui me déplaisent dans la société, mais il y a des gens tellement épatants que la misanthropie, la vraie misanthropie, ou l’amertume, ou l’aigreur, tout ça m’est étranger, totalement !

Finalement plutôt que les personnes, ce sont les idées que vous attaquez ?

C’est l’idée, véhiculée par une personne, bien sûr, que ce soit, un écrivain, un politique, un président de la République, etc., qui incarne une idée qui me paraît extrêmement déplaisante. Plus que ça, dangereuse. Là je m’en donne à cœur joie, parce que ces gens-là ont largement les moyens de se venger. J’ai cette notion-là aussi : que les gens puissent répondre, qu’ils aient les moyens de se défendre, largement. C’est ce qui se passe souvent d’ailleurs, et je ne déteste pas la castagne quoi, j’aime bien ça. Aller chercher, mais aller chercher des puissants, pas des gens qui vont avoir de la peine c’est tout, et qui n’ont pas les moyens de se défendre. Et puis il y a aussi des gens qui sont déplaisants ! Moi je ne suis pas à genoux devant l’opinion publique, par exemple. Je dis pour rire sur scène, en ce moment : « Je vais vous faire un aveu qui me coûte : je suis très déçu par la démocratie, c’est un genre très surfait, finalement. Il y a bien le permis de pêche, le permis de chasse, le permis de conduire, pourquoi il n'y aurait pas un permis de vote avec un petit examen d’instruction civique au moment de glisser le bulletin dans l’urne ? Jack Lang et son nouveau copain Balladur, avec leurs commissions, définiraient ce qui est autorisé…" Bon, bref, c’est une blague, je ne suis pas ennemi de la démocratie, mais c’est vrai qu’il faudrait quand même que la démocratie soit escortée de plus de… d’éthique justement, nous y revoilà. Je veux dire que cet écran de télé, qui est là, diffuse des choses absolument criminelles. La bêtise, les notions qui se dégagent de ces émissions de reality show, ces gens qui sont vedettes pendant huit jours… C’est pas les jeunes gens qui se montrent…, les pauvres, on les roule dans la farine, c’est tous ceux qui sont là justement, qui y trouvent leurs profits, et qui diffusent une imbécillité crasse. Et on se dit : « Mais comment les rattraper, ces jeunes gens ? Comment faire pour qu’ils deviennent des hommes, des femmes, des citoyens, des maris, des épouses, des parents fréquentables après s’être fardés de toute cette saloperie, toute cette connerie, avec des notions imbéciles ? » On parle du malaise des banlieues. Oui, c’est une crise sociale, bien sûr c’est une crise sociale ! Les voyous ce ne sont pas des voyous ontologiques, non. Voilà, ils sont dans un certain monde dont ils se sentent exclus, ils voient des gens étaler leur pognon à la télévision, il y a des émissions sur la jet-set, sur tout ça, bon, ils aimeraient bien… Ils ne sont pas très cultivés. Victor Hugo avait dit : « Construisez des écoles, ça évitera de construire des prisons ! » Là, ces temps-ci, la prison est plutôt tendance.

Entretien réalisé le 30 novembre 2007

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