François Chilowicz – société

Transcription de la vidéo

Est-ce que la violence que vous côtoyez influence votre comportement et votre regard sur l’homme ?

Je suis plutôt rousseauiste de culture, j’ai adoré Rousseau – et je pense encore que l’homme naît plutôt bon. Mes rencontres, toutes mes interviews me font penser qu’au fond, la plupart des gens… Le seul problème, c’est le pervers narcissique, ça veut dire celui qui a complètement séché la zone de la paix dans son cerveau, et ça on sait en plus aujourd’hui, d’après nos connaissances en psychiatrie, qu’on ne peut rien faire. C’est une chose qui est morte très tôt dans l’enfance et qu’on ne pourra jamais restituer. C’est très peu de monde. Ceux-là on finit par les repérer. Pas toujours, mais on arrive. Après, l’ensemble des gens qui passent bien ou pas bien, avec la morale ou pas, avec plus ou moins de générosité, je pense que les gens sont fondamentalement mou et qu’à un moment donné, s’ils se comportent mal, c’est qu’il y a une espérance de vie qui a retourné les choses, qui les a transformés.

Je prends un exemple tout bête. Un soir, je marchais avec un surveillant de prison, sur une coursive. Pas du tout le même milieu que moi, un homme plutôt Front National, dur, raciste, etc., assez violent, sauf que tous les deux on était jeunes papas d’un garçon de six ans et qu’on parlait de nos problèmes de papa d’un garçon de six ans qui, de temps en temps, écoute pas toujours. Il se trouve que la même semaine on avait fait la même observation tous les deux : j’ai donné à mes enfants chacun que une fessée. Tous les deux ont voulu savoir une fois ce que c’était la fessée, ils l’ont eue et après j’en ai jamais plus redonné. Mais enfin mon fils avait eu une fessée, et là il faut pousser le bouchon plus loin, j’en ai redonné une deuxième parce qu’il poussait vraiment le bouchon très loin, j’ai tapé une fois, deux fois, trois fois, et je me suis rendu compte que ça ne servait à rien, il ne s’arrêtait pas. Donc j’ai arrêté. Ça ne sert à rien. Et lui me, je lui dis : « Ben c’est bizarre, je me rends compte que ça sert à rien », parce qu’on parlait du châtiment. On était en prison, c’était le sujet, quoi ! Et puis ce mec derrière les barreaux, quelque part il a manqué des choses dans l’enfance aussi, donc c’était tout à fait cohérent. Et je lui dis : « Tu vois, ce soir j’ai donné une deuxième fessée à mon fils et j’ai arrêté au bout de trente secondes, parce que je voyais bien que ça ne servait à rien. Il me fait : « Moi aussi ». Ah, on était d’accord, alors que lui était plutôt dans la punition. Je lui fais : « Comment tu as fait alors ? »  - « Oh ben je suis passé au-dessus, à la ceinture maintenant ! » Et moi je suis passé « en-dessous ». Donc vous voyez, ça fait un gros, gros, gros clivage. Alors cet homme-là, il manque de culture, d’éducation, d’instruction, de références ? Je pense qu’il aurait pu… Mon fils, à un moment donné, je lui ai dit : « Mon fils, moi je veux bien continuer à te corriger, c’est aussi pour ton éducation et ta sécurité, mais si je te donne une fessée et que ça sert à rien, je ne vois pas l’intérêt »  Il me fait : « Mais ça marche pas comme ça, Papa. Quand je pleure à ce point-là, j’arrive plus à m’arrêter. Donc plus tu te fâches… Laisse-moi et on se retrouve cinq minutes après et on discute. » C’est ce que j’ai fait. J’ai écouté mon fils et il m’a dit comment résoudre le problème. Effectivement, on fait systématiquement comme ça, il n’y a plus jamais eu de conflit et ça se résout. Donc l’autre n’a pas accédé à cette chose-là. Il manque d’éducation, de culture, de tout un conditionnement. Donc si on en revient… Cet exemple, il est assez déterminant, parce que ce que mon fils va devenir et ce que l’autre fils va devenir – il peut y avoir des parcours résilients, des rencontres qui vont les changer et l’un et l’autre, pour le meilleur ou pour le pire, ce n’est pas déterminé, ce n’est pas figé -, mais malgré tout, ça dit déjà beaucoup de choses.

Entretien réalisé le 20 janvier 2015

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