Claudie Haigneré – éthique et rapport à la mort

Transcription de la vidéo

Le souci éthique qui semble vous accompagner dans chacun des domaines où vous évoluez a-t-il modifié votre rapport à la mort ?

J’ai une position un petit peu particulière par ce qu’on pourrait appeler un rule model que je peux avoir, parce que j’ai eu de la visibilité. Faire une mission spatiale…, on est cinq cents privilégiés dans le monde à l’avoir fait, donc on est vu, on est connu, on est sur l’estrade, on en parle, on a un peu ce devoir de parole, d’échange et de transmission. Donc c’est bien clair que ça fait partie de ma vie et que ça me donne plus de responsabilité et m’oblige encore plus à avoir cette réflexion et cette pratique.

Alors le fait d’avoir un regard des autres sur vous dans cette dimension-là, ça modifie votre rapport à la vie. Parfois je ne vis pas seulement ma propre vie. Je suis un peu l’expérience des autres, l’incarnation de certaines choses pour les autres. Donc c’est intéressant à vivre, parfois pas facile, mais c’est important et je l’accepte volontiers. Ce qui veut dire que j’ai ce sentiment profond que je sers à quelque chose dans mon existence et que j’essaie de servir le mieux possible, en prenant l’autre sens du mot servir. Et servir le mieux possible, le plus intensément possible, avec le plus de réflexion sur la façon dont on conduit sa vie, ça vous donne un sentiment de plénitude. Jamais plénitude complète, mais en tout cas de conscience de la vie que vous vivez, qu’elle soit limitée ou plus large. Donc je suis sur un chemin, que j’essaie de parcourir le mieux possible, et où ce chemin que je parcours peut être utile à d’autres après, quelle que soit la façon dont il le soit.

Donc je n’ai pas d’état d’âme particulier par rapport à une interruption d’un chemin à un moment donné, donc un rapport à la mort qui peut-être lié aussi au fait qu’étant médecin, c’est quelque chose qu’on a été amené à intégrer dès sa toute première pratique. Et c’est vrai que là où c’est le plus dur d’avoir, de prendre en considération la mort, c’est de se dire qu’on n’a jamais éprouvé à aucun moment de sa vie cette conscience d’une vie utile, d’une plénitude quelque part du chemin qu’on trace. Moi je crois que j’ai cette chance, dans mon action et dans ma réflexion, d’y avoir accès. Quand je parle de dignité, c’est justement pouvoir donner aussi cet accès aux autres, le leur révéler, parce que parfois ils n’ont pas, pas cette capacité à le découvrir d’eux-mêmes. C’était un petit peu mon désir quand j’étais médecin, par exemple, de pouvoir faire prendre conscience de cette dignité à tout instant.

Donc, effectivement, l’important c’est de vivre sa vie, la vivre le mieux possible et je crois qu’on revient à votre question de départ : comment on peut se sentir mieux en ayant effectivement une réflexion profonde sur ces sujets.

Entretien réalisé le octobre 2008

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