Christian Charrière-Bournazel – justice et société

Transcription de la vidéo

La justice, telle qu’elle est mise en œuvre dans notre société, vous semble-t-elle répondre à une exigence éthique ?

Ce qui est aujourd’hui très préoccupant – on s’éloigne un peu de l’éthique mais on y est quand même –, ce qui est très préoccupant c’est de voir se dessiner une société où on empile des lois sécuritaires sur des lois sécuritaires, pour en fait satisfaire à une sorte de philosophie du retranchement. Il y aurait d’un côté ceux qui méritent tous les égards, toute l’estime, toute la considération parce qu’ils ont des vies réglées, normales, une femme, un travail, un domicile, une famille, et puis les autres, qui ont pu commettre un crime affreux et qu’il faut retrancher. Et cette tentation du retranchement – que l’on voit à travers des lois comme la rétention de sûreté – sont des réactions qui, au fond, font penser à une nostalgie de la peine de mort.

Jusqu’en 81 on supprimait physiquement ; c’était horrible, car à une justice relative ne peuvent correspondre que des peines relatives. Mais comme il n’y a plus la peine de mort et que la véritable perpétuité ne peut pas être appliquée sans une sorte d’effroi – la personne qui est condamnée à passer sa vie en prison est dans un désespoir absolu;  on a vu des gens condamnés à vingt ans et qui ont demandé à être condamnés à mort et exécutés plutôt que de continuer à pourrir en prison –, on voit se dessiner une sorte de société dans laquelle on ne se demande même plus qui est qui, qui a fait quoi, mais le crime est tel qu’elle n’a plus le droit de cité dans le monde des humains.

Et ça, c’est une tentation très grave. Elle est très grave, d’abord parce que nous sommes souvent incapables d’expliquer le passage à l’acte, ensuite parce qu’il n’y a pas de prédestination au mal – vous savez qu’en matière sexuelle les récidives sont de 1,5 % ; c’est trop mais c’est comme ça, – et enfin parce que notre société est incapable de supprimer le mal.

Comment rendre la société plus éthique ?

Nous ne sommes pas, espèce humaine, en mesure d’éradiquer le mal.  Nous sommes solidaires dans le mal comme nous le sommes dans le bien. Nous profitons tous les jours d’inventions formidables faites par des gens qui ont réussi à rendre notre vie merveilleusement confortable, et de la même manière nous pouvons être écrasé en sortant de cet immeuble par un ivrogne qui a pris le volant. Et c’est ainsi : il ne s’agit pas de se résoudre en croisant les bras au mal qui peut avoir lieu ici et là ; on a droit à la sécurité, mais on n’a pas le droit d’avoir comme réponse la suppression de l’autre.

Que chacun ait à répondre des fautes qu’il a pu commettre ou de ses négligences, c’est une chose, mais vouloir hisser la justice humaine à un plan d’absolu qu’elle ne peut pas atteindre, c’est un mirage dangereux. Je m’explique : la justice humaine, nous la désirons tous avec une sorte de volonté passionnée. D’ailleurs si vous regardez bien les choses, justice, le mot justice désigne aussi bien une vertu qu’une valeur. Comme le bien, comme le beau, mais il n’y a pas de ministère du bien, au plus les affaires sociales. Il n’y a pas de ministère du beau, au mieux les affaires culturelles. Mais il y a un ministère de la justice, c’est vous dire à quel point cette passion est forte au cœur de l’homme et comme le sentiment de l’injustice est destructeur.

Seulement, la justice des hommes n’est pas faite pour répondre à une émotion, fut-elle légitime, puisqu’elle n’est pas réparatrice. L’enfant mort ne sera pas ressuscité par un arrêt de la cour d’assises et la jeune fille martyrisée ne sera pas rendue intacte. La justice des hommes ne peut que ce qu’elle peut, c’est à dire à un moment donné constater le crime en vertu de la loi, assigner une culpabilité à l’auteur, prononcer une peine proportionnée à ce qu’il y a eu de volonté et de liberté dans l’acte commis, et apporter réconfort si elle le peut à la victime, mais qui ne sera jamais, ce réconfort,  aussi grand que l’aura été sa souffrance.

Entretien réalisé le 21 février 2011

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