Bernard Stiegler – éthique et culture

Transcription de la vidéo

À quelles conditions peuvent se développer les comportements éthiques ?

On ne devient pas éthique comme ça, on s’appuie sur un filum d’éthique, sur un fil rouge. J’ai eu la chance de rencontrer la philosophie. Je m’intéressais beaucoup à la philosophie, parce qu’avant d’aller en prison j’étais un militant politique. En tant que militant politique, j’étais un travailleur manuel, j’étais chauffeur de machine, je n’étais pas du tout un intellectuel. J’ai quitté le lycée en seconde. J’étais membre du Parti Communiste Français, j’avais adhéré en 68. Et je vendais ce qu’on appelait la presse du Parti. Il y avait L’Humanité, qui était autre chose que ce que c’est aujourd’hui. Il y avait L’Humanité Dimanche, bien entendu. C’était le truc que vendaient tous les militants communistes français sur les marchés ou au porte-à-porte. Mais il n’y avait pas que cela. Il y avait Les lettres Françaises, dirigées par Louis Aragon ; il y avait Force nouvelle, qui était un organe politique, un peu pilotage des esprits des cadres du Parti communiste, et il y avait surtout la Nouvelle Critique. Nouvelle Critique était une revue formidable. C’était une des meilleures revues. Avant d’aller en prison, j’avais déjà lu Ferdinand de Saussure. Pourquoi ? Parce qu’un jour, j’avais vu dans la Nouvelle Critique qu’il y avait un type qui s’appelait Ferdinand de Saussure, qui avait mis au point une méthode linguistique qu’on pouvait transférer en anthropologie, en économie, et cela donnait ce qu’on appelait l’anthropologie structurale. J’avais envie de comprendre, parce que c’était cela, les militants politiques, notamment les ouvriers du parti communiste : ils voulaient comprendre l’homme. Ils se disaient : « Pour se battre, il faut développer une intelligence.» Ce goût de la lecture a fait que quand je suis arrivé en prison, je me suis dit : « Après tout j’ai une chance géniale, je vais enfin pouvoir me mettre à me cultiver.» Parce qu’avant je travaillais, et quand on travaille, le soir on est fatigué, on n’a pas beaucoup le temps de lire. Même si on essaie de prendre un livre, on s’endort sur le bouquin. Surtout quand on n’a pas la culture pour les lire. Je me suis donné cette culture à moi-même. Avec l’aide, d’abord, de Granel, puis ensuite de beaucoup d’autres…, et j’en suis arrivé à développer, on peut dire, une sorte d’éthique.

Entretien réalisé le 11 janvier 2008

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