Stéphane Diagana – sport et éthique

Transcription de la vidéo

Dans le sport aujourd’hui, quelles sont les questions d’éthique qui vous paraissent les plus urgentes, les plus sensibles ?

J’ai parlé tout à l’heure du dopage, comment réussir en fait. Ce qui est intéressant dans le sport, ce n’est pas le sport en lui-même, c’est la symbolique et toutes les questions qu’il pose, qui sont des questions bien plus larges et qui concernent bien plus que le seul champ du sport. Si je parle de rapport à l’autre, de la compétition, c’est un sujet qui nous concerne tous, qui concerne l’entreprise, qui concerne la vie. Quand on vient pour un entretien, qu’il y a un poste et qu’il y a deux personnes, on est en situation de compétition : comment on va la vivre, comment on va vivre le rapport à l’autre ? On sait très bien qu’en situation de compétition cela peut engendrer des comportements qui, pour moi, ne sont pas sains, vis-à-vis de l’adversaire, vis-à-vis de soi aussi.

Le sport vous confronte à beaucoup de choix dans votre parcours. Mais plus loin encore, on dit que le sport c’est le mérite. C’est vrai, cela récompense le travail mais cela récompense aussi une part d’inné, qui est complètement injuste. C’est une combinaison des deux, donc on voit que même la notion de mérite, qu’elle soit dans le sport ou ailleurs, peut poser des problèmes. La méritocratie absolue peut aussi poser des problèmes, parce que finalement il y a une part d’injustice. Est-ce qu’on doit la compenser ? Est-ce que l’éthique, justement, doit compenser cela ? Je ne parle pas du sport, mais dans la société.

Cela pose énormément de questions, mais s’il y a une urgence pour le sport, je pense qu’elle est liée à l’épanouissement, au développement de l’individu, et pas à son aliénation qui en fait un objet, je dirais un objet de performance. Il faut que le sport reste une opportunité d’épanouissement et pas d’aliénation. Aujourd’hui on voit que même les sportifs ne sont plus capables, de temps en temps, de s’extraire de ces enjeux qui peuvent être complètement contraires à leur santé. C’est pour ça que je dis qu’il y a une sorte d’aliénation. On voyait quelque chose d’hallucinant lors du dernier Open d’Australie, avec ces feux, ces incendies pendant les qualifications, et tous les joueurs qui se plaignent des conditions, mais qui ont joué quand même. Un tennisman, je ne sais plus quel joueur français - je crois que c’était Lucas Pouille - , a posé la question : « Mais je les entends tous se plaindre, alors pourquoi ils y vont ? » Cela veut dire qu’ils n’ont plus cette liberté, parce que s’ils n’y vont pas, ils tombent dans les classements, s’ils tombent dans les classements ils perdent. Il y a donc une forme d’aliénation et un manque de liberté, alors que la santé est en jeu. On peut le voir pour ça, on peut le voir pour le dopage, on peut voir des entraîneurs qui se plaignent de calendriers surchargés. On voit donc que ça échappe aux principaux concernés que sont les athlètes. Il y a un débat aujourd’hui sur le jeu de tête dans le football, qui entraîne potentiellement des risques augmentés de maladies neurodégénératives à l’âge adulte ; il y a des études en cours. On voit qu’on essaye de mettre sous le tapis ce genre de choses, alors qu’il y a des enjeux de santé, parce que justement il y a une puissance de l’argent, un système qui s’est installé qu’on a du mal à déconstruire, même pour des questions simples de règlement. « On interdit la tête s’il faut interdire la tête. Mais non, le football c’est avec la tête ! » On voit bien que toutes ces choses sont présentes. Le sport, comme tous les univers, est confronté à des questions d’éthique.

Quel est le pouvoir de ces questions d’éthique vis-à-vis du système financier qui détermine de plus en plus l’évolution du sport ?

Plus il y a d’enjeux d’argent qui, potentiellement, peuvent faire passer l’être humain au second plan, sa santé, son épanouissement, plus il faut mettre de garde-fous. Il faut donc un pouvoir politique fort pour réguler et en faire une priorité. Tout le problème est là. Mais je pense que les sportifs ont leur mot à dire et doivent aussi faire plus.

Que pensez-vous des problèmes de racisme dans le sport ?

Pour les problèmes de racisme sur les terrains de football, je dis souvent que le racisme dans un stade ce n’est pas le problème du sport, c’est le problème de la société. Le racisme sur un terrain de football, c’est un problème du sport, parce que cela veut dire qu’il y a une faillite en matière d’éducation de la part des acteurs du monde du sport qui ont encadré ces jeunes. Donc je ne vois pas de la même façon un comportement raciste dans la tribune, venant de quelqu’un qui n’a peut-être jamais fréquenté un éducateur, un stade, un club, et un problème de racisme entre deux joueurs. On voit finalement qu’entre les joueurs on est plutôt bien et peut-être mieux que dans la société. Donc ça veut dire que le sport est capable d’amener ça.

La société, c’est un autre sujet. Pour ce problème, la seule solution est que les joueurs prennent position. On l’a vu aux États-Unis avec le problème du racisme dans la société américaine : on a vu les joueurs de football américain avec l’hymne. On voit qu’il peut y avoir une puissance, qu’il peut y avoir une possibilité. On l’a vu dans les procès sur les commotions cérébrales dans le football américain. Il y a la possibilité d’avoir des contre-pouvoirs, des règlements évolués. Donc c’est possible, mais il faut une volonté forte des acteurs qui sont les premiers concernés.

Aujourd’hui les régulateurs de la dimension éthique seraient plus les sportifs eux-mêmes que les instances nationales et internationales ?

Il faut que cette pression vienne du bas, donc il faut un niveau d’éducation et de conscience du pouvoir qu’ont les sportifs. Des joueurs qui se disent : « On ne reprend pas le football tant qu’il se passe ça », des joueurs qui quittent le terrain en équipe, une équipe qui quitte le terrain quand il y a des comportements racistes. Ils ont ce pouvoir d’exprimer une opinion par rapport à ce qui se passe dans la tribune, mais il faut qu’ils le fassent collectivement. Ce n’est pas juste le problème du joueur qui est insulté, c’est le problème de toute l’équipe, voire de l’équipe adverse. Si c’est pris de cette façon, les choses peuvent être traitées plus facilement. L’interpellation, je crois, de Lucas Pouille, était juste de dire : « Mais pourquoi les joueurs… ? » Les joueurs, à un moment, doivent dire : « S’il n’y a pas de qualif, les joueurs ne jouent pas, il n’y a pas de spectacle. » On va peut-être les entendre mais, malheureusement ça manque, peut-être par manque de solidarité, de collectif. Cela peut exister, mais c’est vrai que c’est trop fragile.

Est-ce qu’il y a des syndicats qui peuvent peser sur ces questions d’éthique ?

Oui, il y a des syndicats, des représentations, même si ce sont des associations de représentation et que ce ne sont pas des syndicats. Mais il est vrai que bien souvent on voit des divergences d’intérêt selon le statut que vous occupez sur le terrain. Si vous êtes un top-joueur dans un top-sport, ce n’est pas la même chose que si vous êtes dans un petit sport et que vous êtes plutôt dans la masse. C’est cette diversité d’intérêts et d’enjeux qui fragilise peut-être parfois ces syndicats ou ces associations.

Entretien réalisé le 28 janvier 2020

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