René Frydman – éthique et maîtrise de soi

Transcription de la vidéo

C’est je crois Camus qui disait : « L’éthique pour moi, c’est savoir dire non à ses pulsions ». Est-ce que vous adhérez à cette vision-là ?

Oui, je pense que l’éthique c’est effectivement se donner une ligne de conduite, qui aboutisse parfois à dire « non » et parfois à transgresser ce qui pourtant semble être établi. C’est ça la difficulté.

Par exemple ?

Par exemple, sur un plan général, ce n’est pas parce que vous avez reçu un ordre que vous devez l’exécuter à tout prix, s’il se fait aux dépens de l’éthique. C’est l’exemple qui a été beaucoup débattu après la deuxième guerre mondiale, au sujet des nazis, qui se sont tous réfugiés après dans l’ordre donné : ils ne faisaient qu’exécuter l’ordre. Ce n’est pas parce qu’on a l’ordre d’exécuter des enfants qu’on les exécute ! Il y a une éthique personnelle qui intervient. Et puis sur un plan plus médical, il y a aussi des exemples de ce type où l’on va transgresser. La fécondation « in vitro » a été une transgression de l’ordre de la nature et il y a eu beaucoup d’opposition. À un moment donné, médicaliser l’avortement était une bataille qui était aussi très complexe sur le plan éthique ; très très complexe. Et pourtant, l’éthique prédominante était soit la survalorisation du fœtus et de l’embryon, soit la survalorisation de la personne qui est déjà constituée, par rapport à celle qui est virtuelle, qui est à venir.

Et c’est cette éthique-là que j’ai choisie : de toujours favoriser la personne qui est, et pas simplement celle qui pourrait être qui, elle, est chargée de fantasmes, de projections qui ne correspondent pas forcément à ce qu’elle sera. Donc je suis plutôt pragmatique dans ce sens-là, mais les dépassements aussi font partie de l’éthique : de dire « oui » à quelque chose qui est plutôt « non » dans une société donnée à un moment donné.

Et à l’inverse, ne pas faire un acharnement thérapeutique et faire tout ce qui existe et qui pourrait être fait, donc savoir dire non à un moment donné - au titre de la préservation d’une certaine idée de l’homme ou de la personne qui est en face de vous -, oui, ça fait aussi partie de l’éthique. Donc il n’y a pas de mode d’emploi aussi simple, puisqu’on voit bien qu’il y a deux attitudes qui peuvent être contraires.

A votre avis, qu’est-ce qui rend l’homme capable de s’opposer, au prix de sa vie, à un ordre qui irait à l’encontre de son éthique personnelle ?

C’est vrai, on peut penser à tous ceux qui sont morts pour des idées, et c’étaient des idées d’égalité et d’éthique, dans ce sens-là. Je dirais oui, ça peut aller jusqu’à la mort. Il faut saluer ceux qui, sans forcément être allés jusque-là, ont trouvé des formules. Il y a des solutions extrêmes et il y a des solutions peut-être de compromis ou moins visibles, qui essayent de jouer sur les deux, c’est-à-dire la préservation pour continuer cette démarche, et en même temps éviter les choses les plus horribles ou condamnables. Mais parfois on n’a pas le choix.

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