Jean-Claude Casadesus – éthique et expériences vécues

Transcription de la vidéo

Pourriez-vous raconter des événements de votre vie qui vous ont mis en face d’un dilemme d’ordre éthique et comment vous les avez gérés ?

Il m’est arrivé d’avoir des cas de conscience face à des œuvres qui étaient censées chanter la gloire de sentiments que je ne partageais pas. Donc j’ai été amené, en mon âme et conscience, à faire jouer la clause de conscience. C’était une œuvre lyrique avec l’exaltation de pensées très nobles, mais qui mettait aussi en cause d’autres aspects humains. Je suis plus un avocat qu’un procureur et j’essaie toujours, personnellement, de valoriser ce qui peut l’être. Je ne dis pas que j’ai raison, parce que parfois on peut tomber non pas dans une candeur angélique, mais parfois se laisser influencer. Je fais plus confiance aux qualités potentielles d’un homme aussi démuni, bas, malhonnête soit-il, que de couper la tête a priori. Je crois qu’il faut beaucoup s’interroger pour s’arroger le droit de savoir ce qu’est la vérité ou pas d’un individu. C’est Gide qui disait : « J’admire ceux qui recherchent la vérité, je redoute ceux qui la trouvent. » C’est vrai que c’est un questionnement perpétuel et qu’on ne doit jamais perdre la notion humaine. Maintenant, vous avez des monstres, ça existe ; on peut trouver toutes les excuses de la terre, on n’a pas le droit de saboter la vie de quelqu’un, même si on a eu une enfance malheureuse, même si on a eu de gros problèmes dans la vie, enfin c’est très compliqué. Sans rentrer dans les cas extrêmes, il est très important pour moi d’essayer de trouver – je sais que c’est très utopique – des équilibres œcuméniques entre les uns et les autres. Il y a le droit, il y a le souhaitable, il y a la possibilité, il y a l’intransigeance, mais il faut aussi la tolérance. Et ne pas tomber dans ce que disait Claudel : « La tolérance, la tolérance, il y a des maisons pour ça ! » Je pense qu’il y a peut-être des maisons pour ça, mais il y a aussi des comportements pour ça. C’est comprendre, comprendre.

Le maître mot c’est  aimer. C’est difficile, difficile de mettre en pratique. Aimer c’est comprendre, ça n’est pas prendre. Ça n’est pas commode, mais je pense qu’il faut essayer de se poser cette question et un artiste est porteur d’un regard d’amour. D’abord vers son art, ensuite vers ceux avec qui il travaille et ensuite vers le public auquel il doit transmettre. Mais il transmet aussi à ceux qu’il côtoie tous les jours. On peut se tromper, tout le monde a droit à l’erreur, mais avant tout il y a une nécessité d’authenticité dans la démarche, dans le comportement, et d’essayer d’être en tout cas au niveau. On pourrait sûrement vivre sans musique, sans théâtre, sans danse, on ne pourrait pas vivre sans manger, mais il faut faire en sorte que ces nourritures-là deviennent des nécessités pour la part d’humanité qui est à préserver dans un monde de plus en plus robotisé. Le monde d’Orwell nous guette, le monde d’Orwell c’est l’absence de la part d’humanité, c’est l’aseptisation, c’est l’ordre, sous toutes ses formes les plus barbares, et je crois qu’on a une réflexion en tant qu’artiste à mener sur la capacité à entrouvrir des portes qui pour certains devaient rester fermées.

Entretien réalisé le 17 mars 2008

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