Laure Adler – éthique et expériences vécues

Transcription de la vidéo

Kant disait qu’il faut considérer autrui comme une fin et non seulement comme un moyen. N’est-ce pas idéaliste ?

Je crois que c’est possible. C’est très difficile quelquefois. C’est pour ça que ça implique des attitudes, en tout cas professionnelles, qui quelquefois sont très délicates. Par exemple, à un moment donné de ma vie, je me suis retrouvée en situation - entre guillemets, je mets tous les guillemets qui s’imposent - d’avoir du pouvoir, de diriger et de pouvoir avoir sous mon autorité un certain nombre de personnes assez importantes dont j’avais la charge. J’ai pris ce travail très au sérieux, mais j’ai été, au bout de quelques années, confrontée à cette problématique. Effectivement, je ne pouvais pas continuer à me regarder en face le matin dans ma glace. Il y avait des moments de pression si intenses, il y avait des moments de difficulté existentielle si intenses que ma propre personne se heurtait quelquefois à des décisions que je devais prendre. J’ai donc agi en conséquence et j’ai donné ma démission.

Votre souci d’être en cohérence avec votre éthique personnelle a-t-il d’autres    fondements ?

Oui, je crois. Je ne sais pas si j’en serais arrivée là si je n’étais pas moi-même passée par l’expérience très douloureuse d’avoir perdu un enfant. Parce qu’à partir du moment où j’ai perdu mon fils, Rémi… C’était pourtant il y a longtemps, il y a vingt-deux ans, mais de toutes les façons le temps ne fait rien à l’affaire et c’était comme si c’était hier ou même il y a une heure. À partir de ce moment-là, la perception du monde a changé, les enjeux existentiels ont été autres, les amitiés ont été autres, le terrain des vanités a été à tout jamais incendié, et à partir de là on est complètement transformé. Et c’est à partir de ce moment-là qu’effectivement on réfléchit autrement au monde, aux autres, à ce qu’on veut faire de sa vie, si jamais on veut la conserver, ce qui n’était pas évident pour moi. Donc à partir de ce moment on rentre dans un tunnel de questionnement éthique : savoir si on veut être dans ce monde alors qu’on a donné naissance à un être qui n’est plus de ce monde. Et vous, après de multiples interrogations, vous décidez quand même d’être encore de ce monde. Ça implique des conséquences, oui.

Entretien réalisé le 1er octobre 2008

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