François Goulard – expériences vécues

Transcription de la vidéo

En tant qu’homme politique, y a-t-il une éthique qui intervient au quotidien, dans le cadre de vos relations professionnelles ?

Oui ! Alors je suis loin d’être parfait, j’ai quelques défauts, notamment celui de faire assez facilement de l’humour au détriment des autres. C’est un trait de caractère, bon, c’est comme ça et je n’ai jamais essayé de vraiment le corriger. À part ça, sur le plan de l’honnêteté – ce n’est pas toute l’éthique naturellement –, mais sur le plan de l’honnêteté financière, là, l’expérience m’a appris qu’on n’était pas à moitié honnête. On était honnête ou malhonnête, et par conséquent, j’ai conclu de cette expérience qu’il fallait avoir des règles extrêmement strictes en matière d’honnêteté financière. Donc ne jamais utilisé un moyen public à des fins personnelles… Ça va relativement loin. Il y a beaucoup de maires qui ont une voiture et un chauffeur payés par la collectivité. On peut aussi rouler avec sa propre voiture et conduire soi-même, c’est ce que je fais. Ce n’est pas pendable d’avoir une voiture et un chauffeur, et dans certaines circonstances – j’ai été au Gouvernement –, c’est à peu près indispensable. Quand on peut l’éviter, on fait faire des économies à la collectivité, et surtout on ne se met pas dans la situation de quelqu’un qui profite de sa place. Et ça ce sont des choses qu’on rencontre assez fréquemment. Donc, oui, j’ai souvent des… je n’ai pas de cas de conscience, ça se règle vite, et il m’arrive souvent de dire : « Ça, je ne le fais pas, parce que ce n’est pas correct. »

Pourriez-vous nous raconter un événement de votre vie qui vous a mis en face d’un dilemme éthique, et comment vous l’avez résolu ?

Il y a quelques mois, après ma réélection, je suis approché par le dirigeant de la filiale d’une banque en France, qui me propose une activité. C’était parfaitement conforme à la loi et ça m’intéressait, parce que le sujet sur lequel il voulait me faire travailler me passionnait. Il s’agit en fait des financements des partenariats public/privé. Puis j’ai réfléchi et je me suis dis que ce n’était pas correct, étant donné les fonctions publiques que j’ai, d’accepter une activité privée, parce que ça m’aurait privé de temps qui est normalement consacré au mandat que les électeurs vous ont confié. Donc là, j’ai eu non pas un débat intérieur, mais j’ai tranché une question, avec toujours plusieurs considérations, bien sûr : il y a aussi le temps qu’on veut consacrer à sa famille, à son activité etc. Un des éléments qui a joué, c’est l’engagement qu’on prend vis-à-vis des autres quand on se présente à une élection, et c’est quand même plutôt de se consacrer à temps plein au mandat. Donc ça c’est un cas concret où vous avez une décision à prendre : il y a des choses qui vous attirent vers quelque chose qu’on vous propose et puis on finit par dire non, parce qu’on a cette réflexion d’ordre éthique.

Pourriez-vous nous raconter une autre expérience vécue dans le cadre de votre activité professionnelle privée ?

Oui, surtout que j’étais banquier et banquier de PME, et on apprend beaucoup ! Parce qu’un banquier, c’est quelqu’un qui – dans le cas d’une PME, parce que les grandes entreprises c’est autre chose – peut un jour être appelé à dire « non » à une augmentation du solde débiteur de l’entreprise et ça peut la mettre en dépôt de bilan. Pas au bord du dépôt de bilan, en dépôt de bilan. Et ça se sont de vrais problèmes éthiques ! Est-ce que vous prenez la responsabilité de ne pas payer les salaires, parce que le compte est débiteur et que vous avez décidé de ne pas aller au-delà ? Alors là, les conclusions que j’ai tiré de ces expériences-là, c’est que l’important était de faire son travail de la manière la plus sérieuse, la plus responsable possible.

En réalité, quand vous êtes banquier, vous ne pouvez pas augmenter le crédit que vous faites à une entreprise, même si en ne l’augmentant pas il y a des conséquences lourdes. En effet, votre responsabilité à vous est d’abord de protéger vos salariés, votre établissement, et si vous faites des crédits à tout le monde, tôt ou tard ça ne va pas pouvoir continuer longtemps. De plus, vis-à-vis de l’entreprise en question, si vous la laissez s’enfoncer et s’enfermer dans des déficits considérables, ça va aggraver la situation : tôt ou tard on ne pourra pas dépasser un certain stade et la catastrophe sera plus grave que si vous avez interrompu les choses assez tôt. Mais, naturellement, il ne faut pas le faire n’importe comment ! On peut aussi couper les crédits alors que ce n’est pas nécessaire !

Donc c’est plutôt satisfaisant quand on exerce sérieusement, quand on fait bien son travail. En réalité on a de bonnes chances d’être en accord avec l’éthique.

Voilà, c’est peut-être de la morale élémentaire. J’ai des souvenirs de morale à l’école et j’ai encore une histoire en tête. Il y avait des cours de morale. L’instituteur nous racontait l’histoire d’un forgeron qui faisait des tiges métalliques et qui aperçoit une paille, un défaut minuscule dans l’une de ces tiges. Il décide finalement de la jeter et de refaire une tige ; et puis cette tige sert à faire un pont et au moment où les essais se font, on fait passer de lourdes charges, et le pont commence à se rompre, mais finalement ne s’écroule pas parce que la tige en question a résisté ! L’histoire est simple et c’est tout de même l’éthique du travail bien fait qui aboutit à éviter des catastrophes. Et ça j’y crois assez profondément.

Entretien réalisé le 15 novembre 2007

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