Catherine Enjolet – engagement

Transcription de la vidéo

Votre engagement a-t-il un fondement spirituel ?

Alors je pense oui, je cherche justement : est-ce que c’est la spiritualité ? Mais en même temps, certainement, puisque ce n’est pas rationnel, c’est au-delà du rationnel. Et ce qui m’intéresse c’est précisément d’avoir parfois quelques indices de ce qui me dépasse et qui fait..., qui dimensionne, voilà, qui dimensionne les choses, qui dimensionne la vie, qui dimensionne mon engagement, qui dimensionne peut-être mes romans et ce que je tente de faire. Et c’est petit à petit, au fur et à mesure que précisément je vois par exemple le lien entre… Par exemple, j’avais choisi d’être professeur de lettres, et j’entendais professeur de lettres dans le sens de littérature, puisque que j’aime l’écriture, etc. Et puis je me suis aperçu au fur et à mesure du temps, qu’il fallait entendre l’être au sens du verbe d’état, et c’est la raison pour laquelle… Parce que souvent on me dit: “Mais comment concilier à la fois l’engagement humanitaire, l’écriture ? Comment est-ce que ça fonctionne ?” Et pour moi précisément c’est indissociable. Il n’y a pas d’un côté agir et de l’autre côté réfléchir ou écrire : c’est indissociable.

Comment vous est venue cette sensibilité à l’éthique ?

C’est un parcours de vie et parfois il s’agit tout simplement pas seulement de vie mais de survie. Et j’ai eu l’impression que le lien et le sens étaient vraiment comme des tuteurs, quelque chose qui te tient debout et qu’il faut le lien et il faut le sens, et sans ça on ne tient pas debout. Donc c’était je crois par rapport au parcours qui était le mien, tout simplement ce n’était même pas un choix, c'était “bon, ben c’est ça ou alors on tient pas”.

Quels sont vos engagements actuels dans les liens du sens ?

Je disais en effet que c’est indissociable, puisqu’à la fois le seul outil en ma possession pour mener l’engagement dont je vais parler, c’est l’écriture. C’est la seule chose qui me permet d’en rendre compte et de le faire connaître. En revanche, je ne veux pas simplement écrire, c’est-à-dire pour moi “me payer de mots”, en quelque sorte. Je veux que se vive ce que je recommande dans mes essais et notamment les liens du sens, puisque c’est à la fois le nom de mon concept et de l’ONG que j’ai créée à l’international. L’idée c’est que tout enfant, tout jeune soit humainement relié. Humainement, affectivement, d’un point de vue éducatif ; qu’il compte pour quelqu’un. C’est à la fois extrêmement humble, puisque l’idée c’est que tout enfant sache qu’il compte pour quelqu’un, qu’il n’est pas dans ce que j’appelle l’errance relationnelle, qu’il n’est pas ce que j’appelle aussi un “Sans Affectif Fixe” : SAF.  Il y a des SDF, c’est sûr, mais il y a aussi beaucoup, peut-être innombrables, les SAF, sans affectif fixe. Donc tout simplement être relié et compter pour quelqu’un. Donc c’est à la fois extrêmement humble et en même temps ça fait trente ans que je m’emploie tout de même à ce que ça fonctionne.

Comment s’établit concrètement ce lien affectif ?

Là aussi c’est très simple, puisque c’est faire en sorte que tout enfant soit affectivement adopté. C’est pour ça que mon concept s’appelle l’adoption affective. On sait qu’en France et même à l‘international l’adoption est complètement bloquée : on ne peut plus adopter pour toujours mille choses qui empêchent. Or les enfants et les jeunes, encore une fois, qui attendent de compter pour quelqu’un se comptent par millions, et ceux qui sont prêts à transmettre, à donner pas seulement de ce qu’ils ont mais de ce qu’ils sont, se comptent… C’est complètement invraisemblable, parce que les uns et les autres se cherchent sans se trouver. Pourquoi ? parce qu’il y a la loi juridique qui fait blocage. Donc l’idée, un petit peu, oui, c’est de faire passer la loi humaine avant la loi juridique. C’est-à-dire permettre, d’abord - notamment en ce moment, dans le contexte notamment en Europe, de tous ces enfants et ces jeunes qui se retrouvent orphelins -, l’idée c’est de ne pas leur dire : “Attends avant d’entrer dans la case !”, parce que pour entrer dans la case ensuite l’âge s’avance et on n’intéresse plus personne. L’idée c’est de dire : “Voilà, tout de suite tu peux rencontrer ton parent affectif et ensuite on verra d’un point de vue juridique dans quelle case ça entre”. Donc je crois qu’aujourd’hui, après trente ans de son combat sur la France, et ça fonctionne maintenant sur la France, l’idée est de permettre à tout enfant hors frontière, parce que forcément il n’y a pas de frontière pour le lien et le sens - c’est hors frontière -, et l’idée c’est que l’enfant très jeune, si possible, puisse tout de suite être affectivement adopté. Voilà le programme de l’adoption affective.

Est-ce une adoption qui se fait par les réseaux sociaux ?

Alors non, vraiment il faut bien évidemment pour le parent affectif, le candidat qui veut en quelque sorte transmettre à un enfant hors les liens du sang, il va falloir tout de même qu’il soit validé. Mais ça, ça se fait avec le réseau de psys de notre organisation, le réseau de bénévoles, donc extrêmement rapidement. C’est assez rapide de valider ; il n’y a pas besoin d’attendre des années pour savoir si on est vraiment dans ce schéma d’adoption affective, dans cette possibilité-là, et ensuite évidemment de rencontrer au plus tôt l‘enfant ou le jeune - puisque c’est de la naissance jusqu’à dix-huit ans -, l’enfant ou le jeune qui attend cette rencontre-là. Et l’idée malgré tout, c’est comme en France ce parrainage de proximité que j’ai créé, c’est que c’est un lien de proximité. Il ne s’agit pas de provoquer un nouvel exil. Il faut que le jeune ou l’enfant reste dans son environnement pour rencontrer le parent affectif, qui ne provoquera pas le déracinement en plus de la souffrance, de la solitude de ce jeune ou de cet enfant.  

Entretien réalisé le 8 avril 2016

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