Catherine Enjolet – caractères et vertus
- Nom: Catherine Enjolet
- Thèmes: Caractères et vertus
Transcription de la vidéo
Quelles qualités éthiques vous ont permis de mener à bien votre démarche ?
Est-ce que le courage est... ? Oui, ça me semble important, mais dans certains cas, dans des parcours de vie un petit peu difficiles et un peu chaotiques, de toutes façons c’est indispensable, ce courage. Même si on ne l’a pas on est bien obligé. Je le disais tout à l’heure, c’est parfois de l’ordre de la survie. Probablement l’idée de compassion également, parce que quand on a un certain trajet, un certain nombre de difficultés… Je pensais par exemple à mon métier de professeur : j’ai également enseigné dans le secondaire. Il est évident que les enfants qui sont en danger dans une classe, je les ressens immédiatement et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai créé ça dès ma nomination, parce que je voyais bien que tel enfant qui était en difficulté scolaire avec des résultats épouvantables était en train de nous raconter quelque chose, et que ce n’était certainement pas en l’assommant d’avantage de punitions et autres… Cela dit, c’était tellement énorme, précisément, et peut-être encore davantage aujourd’hui, mais il y a toujours deux ou trois enfants par classe qui sont en danger, de cet ordre-là. Quand on a plusieurs classes on se dit : “Comment je fais ?” surtout quand on a des enfants soi-même et qu’on n’a pas réponse à tout. Tout simplement l’idée c’est de faire appel, autour de soi, à tous ceux qui peuvent apporter des réponses.
Quelle est la place de l’humilité dans votre engagement ?
De toutes façons dans l’engagement qui est le mien c‘est forcément extrêmement humble, puisque finalement tout ce travail est fait par les personnes autour de moi. Moi je suis simplement un tout petit peu incitatrice au départ, un petit coup de pouce à l’existence, mais moi ce que j‘admire surtout ce sont tous les gens autour de moi qui donnent ce lien et ce sens à des milliers d’enfants à travers le monde, et je trouve ça assez éblouissant. Moi là-dedans je suis juste une petite main et j’ai juste un petit peu autorisé, parce que souvent on ne s’autorise pas à intervenir dans la vie d’un enfant : on pense qu’on n’est pas autorisé, qu’on n’est pas de la famille, etc. Donc il faut juste donner cette autorisation symbolique, et après, ce que je trouve absolument magique, c’est tous ceux qui m’entourent, surtout. Et en même temps je suis consciente qu’à la fois c’est extrêmement humble et extrêmement puissant. Alors je ne sais pas comment je dois alterner un petit peu avec cette idée d’avoir l’impression, oui d’être dans cet engagement, qu’il y a quelque chose d’assez puissant potentiellement. Et j’imagine que si demain je réussis en Europe à faire en sorte que tous les enfants de l’exil, en ce moment, qui sont sans papier, qui ne savent même pas de quel pays ils viennent, qui ne savent pas comment ils s’appellent, qui n’appartiennent du coup ni à un État ni à une famille, si demain tous ces enfants-là peuvent trouver leur parent affectif, moi-même je suis bluffée ! Voilà, voilà, donc c’est toujours à mi-chemin entre extrêmement puissant et extrêmement humble.
Dans toute cette démarche, avez-vous eu à subir de la jalousie ?
Ce mot jalousie je ne l’imagine pas un instant, compte tenu de certaine forme de dépossession qui était la mienne pendant mon parcours de vie. J’aurais pu, moi peut-être, en effet être jalouse de ma petite camarade qui avait des parents, ou être jalouse… bon. Donc c’était quelque chose qui était complètement absent de ce que je pouvais même imaginer. En revanche, j’ai un fils qui a attiré mon attention là-dessus, qui m’a dit: “Est-ce que tu te rends compte que telle ou telle personne… ?” et j’ai bien été obligée en effet d’ouvrir les yeux. Mais surtout, ce que je constate c’est que si on me prête par instant..., parce que je mets en place un tout petit pouvoir, ça peut susciter, peut-être du côté de ceux qui se sont dépossédés d’un certain pouvoir, ça peut peut-être susciter des réactions négatives. En fait, je ne sais pas quelle distinction il faut faire entre jalousie et envie, mais je pense que dans les deux cas, lorsqu’on ressent ce sentiment de jalousie et d’envie, c’est qu’il y a une dépossession de soi. Et c’est dommage que ça ne puisse pas se dire, tout simplement se dire : “Oh moi j’envie ce que tu fais ou ce que tu réalises !” et pourquoi pas le mot jalousie. Du coup mon fils me l’a appris ce mot d’ailleurs et il l’emploie pour moi. Il dit : “Tu vois, moi je peux être jaloux de mon petit copain qui a telle ou telle chose”, et ça émerge et je commence à comprendre ces réactions, alors que je me sentais à mille lieues de tout ça, en tous cas de provoquer la jalousie ou l’envie, vraiment !
Avez-vous eu à pardonner ?
Hem, c’est difficile, c’est une question qui reste extrêmement difficile. Bien sûr je vais dire “oui”, parce que c’est moi-même que j’allège. En pardonnant c’est moi que j’allège. En revanche, il ne faut pas non plus se leurrer, il reste évidemment de la souffrance, mais en revanche j’ai choisi d’en faire quelque chose de cette souffrance, de la transformer. C’est une sorte d’alchimie : qu’est-ce que je fais de cette souffrance ? comment je la transforme ? Et là alors c’est formidable, parce qu’on se croit un petit peu magicien, un petit peu alchimiste et on se dit que tout est possible, à partir du moment où on peut transformer la souffrance. Mais elle est là, elle est là et elle me sert et j’espère qu’elle sert aux autres.
Auriez-vous fait le même parcours sans cette souffrance initiale ?
Oui, ça aussi c’est une question importante, et pourtant… J’ai écrit un livre qui s’appelle Princesses d’ailleurs, où j’ai l’image d’un photographe qui s’appelle Bouba et où les petites filles se parent de feuilles mortes. Et c’est tout à fait ça, c’est-à-dire qu’on peut se parer de choses et se transformer en princesse, y compris avec le poids de sa souffrance. Mais en même temps il faut être prudent, parce qu’il ne faut pas transformer tout ça en joyaux et les maintenir. Donc les transformer oui, les garder, non. Voilà !
Entretien réalisé le 8 avril 2016