Alain Cugno – éthique et société

Transcription de la vidéo

Pensez-vous que l’état d’esprit de la société favorise les comportements éthiques, et si oui ou non, pourquoi ?

Oui bien sûr, elle les favorise. Comme toute société elle favorise les comportements réellement éthiques, et elle les favorise, parce que... Ça aussi c’est Aristote qui l’a perçu. Aristote dit que le fondement de la société c’est la filia, c’est l’amitié, c’est-à-dire la confiance et l’instauration d’une égalité fondamentale, sur laquelle viendront se greffer toutes les différences possibles. Et il définira la justice comme une justice qui tient compte des variétés, des variations, des différences, mais fondamentalement, c’est la sollicitude de l’homme pour l’homme qui est à la base de la société. C’est plus important, dit-il, que la justice. Donc cette confiance réciproque est dans toutes les sociétés, sinon nous ne pourrions pas vivre, nous ne pourrions pas traverser la rue, nous ne pourrions pas prendre le métro, et elle est réelle. Elle est une invitation à avoir un comportement éthique. La société est aussi ce qui m’entraîne du côté des comportements de pur opportunisme, ou conformisme, elle est aussi ce qui m’entraîne vers l’ennui, vers l’inauthenticité. C’est aussi incontestable. Notre société comme les autres. Il n’y a pas eu d’âge d’or de l’éthique.

Que pensez-vous de l’omniprésence de la communication à tous les niveaux de la société ?

Il est absolument évident que les techniques du marketing ont gagné à peu près tous les domaines. Et si notre société est une société qui en vaut bien une autre, elle a aussi des défauts et est aussi prodigieusement agaçante. Et elle est en particulier agaçante par ce que vous venez de dire sur l’omniprésence de la communication. Ça prend des proportions tout à fait inquiétantes dans le domaine politique, puisque, contrairement à ce que l’on dit, il n’y a pas de débat, mais il y a l’appréciation des pourcentages, des opinions. C’est-à-dire que c’est la négation même du politique. Et cette démagogie, ou ce populisme – on peut voir là les sons du populisme –, qui consiste à continuellement faire comme si la réalité était ce que les gens ont pensé. Mais en même temps, c’est en boucle, c’est à dire que l’on dit aux gens : vous pensez cela. Alors ils le pensent. Puis ça refait un tour, et à chaque fois cela se renforce. Il suffit de dire aux gens qu’ils ont peur, pour qu’ils aient peur. Il suffit de dire aux gens qu’ils n’ont pas peur, pour qu’ils n’aient pas peur.

Et comme finalement, ce qui compte, ce sont les ventes des journaux ou les parts d’audition à la télévision, c’est le passionnel, l’effrayant, le scabreux, tout ce qu’on veut qui se met à être le contenu même de nos comportements sociétaux. Ça c’est très dommage et c’est très difficile à combattre, si ce n’est en luttant, en insistant d’une manière continuelle, peut-être, auprès des médias. C’est trop facile de leur jeter la pierre et de rejeter la responsabilité sur eux, mais enfin, quand même, ils ont une énorme responsabilité. En particulier dans cette manière de ne jamais laisser quelqu’un s’exprimer plus de cinq secondes – mais qu’est-ce qu’on peut dire en cinq secondes ? — ou de ne pas tenir compte de ce qui vient d’être dit, et de faire comme si la réponse avait été autre, ou bien de tenir comme allant de soi des choses qui ne vont pas de soi du tout. Je crois que c’est extrêmement pernicieux et que, comme tu le disais, ça sape la confiance que nous pouvons avoir dans nos relations sociales mêmes.

Est-ce que les médias ont un rôle à jouer pour rendre la société plus éthique ?

C’est à travers les médias que l’on arrivera à redresser l’opinion publique, puisque l’opinion publique n’existe pas. Elle est ce qu’on dit qu’elle est. Mais ça marche. Je pense également que ce qu’il faudrait faire, c’est une restauration du politique, une vraie restauration du politique, c’est-à-dire une vraie restauration de la démocratie, c’est-à-dire enfin un véritable renouvellement du débat public. Dans les formes qui sont celles que nous connaissons, ce sont les parlementaires qui sont les premiers visés. C’est-à-dire que les débats devraient essentiellement être des débats entre parlementaires, qui sont, contrairement à une idée reçue, des gens très bien, bien informés, généralement intelligents, mais la part de leurs travaux, qui est considérable, qui passe dans la connaissance de l’opinion publique, est extrêmement réduite.

Entretien réalisé le 16 octobre 2007

 

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