Gérard Klein – définition de l’éthique
Qu’est ce que c’est pour vous l’éthique ?
C’est compliqué la définition de l’éthique. En fait, on peut la compliquer comme on veut, si on veut faire une différence entre le conscient – c’est-à-dire comment on va percevoir les autres, la société, comment on va réagir –, et aussi l’inconscient. Il faut savoir, pour ses propres rapports avec l’éthique, si on se dit, pour s’excuser : « Et ben oui, mais c’est ma nature, je suis comme ça, quoi ! C’est mon inconscient. Je suis un enfoiré, oui, mais je ne suis pas méchant quand même… » Ou bien au contraire, si on se dit : « Attends, ce n’est vraiment pas bien ça ! »
En réalité, on peut résumer, pour moi en tous cas, ma perception… c’est comme dans la vie : des fois, on aime bien les salades, on aime bien la viande et tout. Moi ce que je préférerais dire si je mangeais l’éthique, ce serait : les autres. Ça veut dire : que te font les autres ? Qu’est-ce que ça te fait de voir ce bonhomme ou cette femme ? Et comment dans un premier temps tu peux ne pas lui faire de peine, ne pas l’emmerder ? Puis dans un deuxième temps, peut-être l’aider, peut-être être encore plus proche, être avec elle. Ça veut dire que si on est un petit peu ça… Quand j’étais petit à l’école – bon, je ne suis pas non plus parfait, encore une fois – c’est moi qui ramassais tous mes copains, à dix ans, onze ans… Je leur faisais des pansements. Après, je voulais être médecin. Mais c’était marrant, parce que ça m’emmerdait, ce n’était pas forcément de la peine ou de la compassion.
C’est bien d’aider quelqu’un qui a vraiment besoin d’être aidé, mais dans l’instant ! Pas la peine de faire des grandes théories ! C’est tout de suite, quoi ! Le mec te dit : « Tiens, tu peux porter le bout du piano, s’il te plaît ? C’est vachement lourd. » - « Oui, alors dans trois semaines, on prend rendez-vous, j’ai mon agenda, là, j’ai un truc à faire… » Ben, c’est trop tard ! Il ne faut pas que ça soit trop tard ! Et l’éthique c’est : « Faisons-le avant qu’il ne soit trop tard ! »
Est-ce que l’éthique peut constituer un projet de vie ?
C’est très difficile de ne pas glisser vers un comportement religieux dans lequel on t’apprend, effectivement : « Tu ne tueras point! » Il y a les catholiques, après il y a les musulmans. Le Coran c’est plein de richesses aussi, où on dit aux gens que si tu gagnes de l’argent il faut faire travailler des gens, il faut dépenser ton argent en faisant travailler un maçon, ou peu importe, mais c’est cette notion de partage ! Alors, le comportement n’est pas forcément religieux, parce qu’il y a plein de gens qui ne croient pas en Dieu, etc. Mais ça peut être, surtout en ce moment où c’est quand même un sacré bordel dans le monde… J’ai un copain curé qui habite derrière, et qui me dit, en rigolant mais il le dit quand même : « Le diable règne en maître ! » Et c’est un peu vrai, c’est un peu vrai. Le mot « éthique », là il est carrément piétiné ! On a quand même affaire à des groupes de gens qui ont le pouvoir, qui ne sont pas forcément « pure laine ». Sans dire de mal, on peut dire ça quand même. Parce que le pouvoir, c’est un drôle de truc !
Éthique et pouvoir… je ne sais pas si ça peut cohabiter. Les pigeons n’épousent pas des corneilles ! Non, mais c’est vrai ! Ça doit être très difficile d’être… Avoir envie du pouvoir, il faut en avoir envie ! Le pouvoir, il faut le désirer, quand même ! Mais une fois qu’on a le pouvoir… Avoir le pouvoir sur les autres, c’est les dominer, malgré tout. Et c’est faire en sorte que tous ceux-là acceptent le chef. C’est vachement compliqué !
Avec Françoise, on parlait ce matin. Françoise, c’est ma femme. Elle me dit : « Tu vois, l’éthique par exemple, ça consisterait pour toi à ranger tes fringues qui traînent partout, parce que ça veut dire que, comme tu t’en fous et que tu les laisses traîner partout, c’est sur moi que ça tombe ! » C’était bien, c’est très bien ! Parce qu’en réalité, dans le couple – je vis avec cette femme depuis longtemps, depuis trente ans, un peu plus de trente ans, on se connaît depuis trente-cinq ans – on a partagé tout de suite les choses… C’est-à-dire que le cerveau, c’est elle qui l’a pris, comme ça je ne suis pas emmerdé, je n’ai pas à penser.
Je pense que dans ce mot « éthique » – enfin, c’est lourd, c’est vachement compliqué - il y a plein de choses qui rentrent. Il y a la perception de l’homme : comment on voit une femme, ou sa femme, puisqu’on est tout le temps avec la même personne. Après tu fais des enfants, donc c’est une période de création, mais c’est elle qui les fait. C’est quand même elle qui les porte, puis c’est elle qui les fait, puis c’est elle qui va les élever. Donc, dans l’éthique, il y a plein de choses, et il y a ça, notamment, quel rapport… C’est inadmissible que des femmes gagnent moins que des hommes ! Si vraiment on s’était intéressé à ce mot-là, pas plus tôt mais enfin d’une autre manière, en insistant un peu plus, on se serait peut-être dit : « C’est vrai quand même ! La fille, il n’y a aucune raison qu’elle gagne 150 euros de moins. » Tous ces trucs-là, en fait ça paraît des évidences, mais tu te dis que ce n’est pas du tout résolu.
Qu’est-ce qui peut faire prendre conscience aux gens de l’importance du rapport à l’autre, et d’aller vers plus d’éthique ?
Les drames. Les guerres ou les drames. Les drames, la perte d’une personne chère, un accident, un truc très grave qui va complètement perturber… On projette sa vie, on a toujours l’impression qu’on ne mourra pas, qu’on est vachement beau, qu’on est en super santé, qu’on va faire des trucs. Et un jour, manque de pot, on sort, il y a une bagnole qui passe, merde le mec était bourré, il t’explose, tu es dans une chaise roulante. Ça change la vie ! Ça change la vie !
Entretien réalisé le 2 novembre 2007