Juan-David Nasio – l’éthique du psychanalyste

Transcription de la vidéo

Quelles attentions éthiques doivent être les vôtres dans la spécificité de votre métier ?

Par exemple j’ai eu l’occasion de faire une conférence à la Fondation sur le cas de Muriel. C’est pour ça que je peux en  parler, parce que c’est un cas dont j’ai fait l’exemple public. Muriel était une maman avec des intentions infanticides pour tuer son enfant. Et elle-même disait qu’elle avait l’intention, qu’elle allait le faire. Et beaucoup de collègues psychiatres considéraient qu’elle était gravement atteinte et qu’il fallait l’hospitaliser et  l’enfermer, la séparer de son enfant. Et moi je n’ai pas eu cette impression. J’ai connu des cas comme elle et j’étais sûr que cette mère n’allait jamais tuer son enfant, comme ça arrive malheureusement, comme c’est arrivé il n’y a pas très longtemps, d’une mère qui a jeté son enfant par la fenêtre en suivant l’impulsion délirante d’un dieu qui lui disait de le jeter. Mais ce cas-là ne répond pas à ce problème là, je le savais et j’ai maintenu ma position : je n’ai pas voulu qu’elle se sépare de son enfant. Et on a réussi, après des années de travail ensemble où j’ai couru ce risque. Je dois vous dire qu’elle aurait pu faire mal à son enfant et je me serais senti coupable.

Un autre exemple, c’est le cas d’un pédophile que j’ai reçu. J’ai reçu plusieurs fois des pédophiles mais il y a eu un pédophile qui m’a préoccupé parce que c’était un homme d’une cinquantaine d’années, qui avait déjà eu affaire à la police une fois, pas beaucoup, et qu'il était libre. Et ses filles, déjà grandes, lui ont demandé d’aller consulter, et que s’il ne consultait pas, elles allaient le dénoncer à nouveau parce qu’il manifestait quelquefois des envies de revenir à la charge pour faire un autre acte d’abus d’un enfant. Eh bien, je dois dire que l’écouter devant moi, moi ayant un petit-fils de quatre ans, et que lui me parle de son envie d’abuser d’un enfant, d’un petit garçon de quatre ans, et qu’il était là, et que j’étais coincé entre la loi qui me dit « Vous devez signaler, docteur ! » et en même temps la loi qui me dit « Vous devez garder le secret professionnel ! » C’est-à-dire que c’est une loi contraignante dans les deux sens pour moi et en même temps ma conscience morale, comme vous dites ou comme nous disons, ma conscience morale qui me dictait d’essayer d’accomplir ma mission pour laquelle les filles de ce monsieur étaient là. Finalement, j’étais soulagé parce que le monsieur est parti sans qu’il ait commis aucun délit et je n’ai pas eu à le faire. Mais je l’ai gardé pendant six mois, un an à peu près, et j’étais toujours, chaque fois que je le voyais, j’étais coincé, j’étais préoccupé entre le fait d’avoir à le signaler, d’avoir à le dénoncer et la peur qu’il ne réalise un acte sans que je le prévienne, en pensant à l’enfant auquel il allait nuire. C’était terrible, c’était un cas dont je n’oublierai pas les affres, de moi comme professionnel.

Comment parvenez-vous à maintenir un équilibre intérieur ?

Il faut bien entendu avoir une certaine stabilité. Pour moi c’est une condition très importante. Et je dois, dans cet échange très franc que nous avons, je dois dire que dans notre milieu on ne le rappelle pas aussi souvent qu’il faudrait : qu’il faut, pour faire ce métier, une grande stabilité au niveau privé. Je pense que dans ma stabilité personnelle, d’abord, toute personne qui entre dans cette pièce, pour moi je suis un médecin, je suis un psychanalyste, je suis un professionnel. Et je travaille avec lui en tant que professionnel. De façon chaleureuse, peut-être est-ce à cause de mes origines latino-américaines : je suis Argentin d’origine. Eh bien probablement par ma personne : je suis un homme qui aime bien aider, j’aime bien être utile et j’aime bien être chaleureux ; je le suis par nature.

Mais une fois que je quitte cette pièce, c’est terminé. Je me consacre à ma famille et là je rejoins les miens, et là je me sens bien, ils me nourrissent suffisamment. Et puis chacun de nous a son hobby ou son côté amateur qui lui permet de se nourrir, de souffler et puis de revenir à la charge du métier que nous avons. Bref, je trouve les ressources dans ma vie privée pour pouvoir rester stable et, effectivement, recevoir des patients à longueur de journée, et souvent des patients pour lesquels on a besoin d’une grande force de caractère, de beaucoup de stabilité, savoir encaisser aussi. C’est rare que je ne sois pas..., que je sois déstabilisé, c’est rarissime.

Entretien réalisé le 8 mai 2011

 

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