Juan-David Nasio – morale et peur

Transcription de la vidéo

Pourriez-vous décrire plus précisément cette peur qui est à l’origine de la morale ?

Ce n’est pas une peur maladive. C’est une peur qui me conduit à me tenir à carreau, à me comporter correctement dans la vie, c’est l’exemple de la peur du gendarme. C’est une peur saine, bonne, et d’ailleurs je trouve que c’est la même peur qui doit exister dans un couple.

Il y a des patients qui viennent me voir et qui me disent : « Mais docteur, comment je fais pour vivre avec ma femme ? Tout le monde autour de moi se sépare, à la moindre chose ils se séparent tous. Comment je fais pour vivre longtemps dans un couple ? » Et je lui dis : « Eh bien, aimez-la bien sûr ! Faites l’amour, bien sûr ! Parlez avec elle, bien sûr ! Partagez des activités communes ! Je dis toujours que c’est le tabouret. J’ai un tabouret à quatre pattes, alors je prends le tabouret sur lequel vous êtes assis ; là on ne peut pas le prendre. Je prends le tabouret et je dis : « Pour qu’un couple dure, il faut quatre pattes, quatre pieds : faire l’amour de façon régulière et relativement satisfaisante ; deuxième pied, partager des activités, au moins une activité commune, aller au cinéma une fois par semaine ; troisième pied, s’il vous plaît, communiquer, se parler, etc. ; quatrième pied, s’admirer mutuellement. Il faut que ma femme soit la meilleure mère du monde, il faut que ma femme soit la meilleure  cuisinière, la meilleure chef d’entreprise, mais il faut que je l’admire."

Mais j’ajoute un cinquième pied, qui est un peu invisible : il faut que j’aie peur ; je ne peux pas la tromper comme ça, je ne peux pas être infidèle comme si de rien n’était. Non, attention ! Et si elle s’en aperçoit, elle va m’abandonner ! Je ne veux pas qu’elle m’abandonne, donc je ne peux pas faire des petites bêtises. La peur saine dans un couplec’est fondamental à la cohésion du couple.

La peur ne pourrait-elle pas être remplacée par la confiance ?

Si ! J’ai confiance en ma femme, mais si demain ma collègue de travail – parce qu’en général les infidélités c’est toujours à 70% un collègue de travail. Quand ma collègue de travail me dit : « Ah, on va déjeuner ? On peut se promener ! Et après, parce qu’aujourd’hui on ne travaille pas cet après-midi, on pourrait aller au parc ! », je ne sais pas quoi…, je dis : « Houlà, attention ! Si ma femme apprend que cet après-midi je ne travaille pas et que… etc. » Je veux dire : j’ai confiance en elle, elle a confiance en moi, mais je dois me tenir à carreau, si je ne veux pas la perdre, parce que je tiens beaucoup à elle.

Alors là bien sûr ça part du principe que je tiens à elle ; si je ne tiens pas à elle, je n’ai pas peur. Si moi – c’est la même idée –, si je suis un adolescent qui habite malheureusement dans la banlieue de Strasbourg où on brûle des voitures tout le temps. Si moi je suis un adolescent et que je n’ai pas peur, je brûle la voiture, pas de problème. C’est pour ça que la peur est un sentiment moral, à condition – vous faites bien de le remarquer, je vous remercie, ça me permet de le dire –, pas la peur phobique des araignées, pas la peur de se sentir terrifié, mais une peur sereine, mais une peur quand même.

S’épanouir, ce n’est donc pas se libérer de toutes ses peurs ?

Surtout pas ! Surtout pas ! Il faut avoir peur, la peur est saine et elle nous aide à vivre en société. S’il vous plaît ! Si vous retirez la peur, c’est la débandade, c’est le chaos, c’est la délinquance, etc. Un délinquant, c’est un homme, sachez-le, qui a pris… Je ne sais pas si vous êtes au courant, les internautes sont au courant, mais si vous allez… Je le sais parce que j’ai des gardiens de prison qui viennent me voir pour superviser leur travail, c’est très intéressant. Ils me disent : « 80% des détenus sont des gens qui ont commis leur délit en prenant de la drogue, de l’ecstasy, un mélange d’ecstasy, d’alcool et d’amphétamines et autres pour ne pas avoir peur." C’est pour supprimer la peur. Ils ne veulent pas avoir peur. Pour aller braquer une banque, pour entrer dans une banque, il faut ne pas avoir peur.

Quand je disais qu’un délinquant n’a pas peur et que c’est pour ça qu’il commet un acte, il aurait fallu que j’ajoute : il n’a pas peur et il se croit superman, il se croit omnipuissant. Évidemment il lui manque l’humilité. Et qu’est-ce que l’humilité ? L’humilité, c’est de reconnaître que je ne peux pas tout. Donc effectivement, la peur est la sœur de l’humilité. Il y a trois sentiments qui vont ensemble : l’amour, la peur de faire mal à celui que j’aime et me rappeler que je ne suis pas tout, ni pour lui, ni pour personne ; que je ne suis pas omnipuissant. Attention ! Je suis formidable, je suis un bon parti, je gagne bien de l’argent, je travaille, je suis un père formidable, mais ma femme, si je commets un truc grave, elle peut me lâcher malgré toutes mes qualités, parce que je ne suis pas seul dans ce monde.  Attention ! Effectivement, vous avez raison, le sentiment d’impuissance originel, on devrait se le rappeler en permanence pour nous rappeler notre humilité. Alors là, j’ai envie..., je pense aux croyants, ça serait l’humilité devant Dieu et je dirais devant la nature et devant la vie.

Entretien réalisé le 8 mai 2011

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