François Chilowicz – sens de la vie

Transcription de la vidéo

La démarche éthique est-elle liée au sens de la vie ?

Oui, mais alors là je suis très, très…, pour moi elle n’a pas de sens et ce sens nous échappe. La vie a un sens qui lui est propre et qui m’échappe. C’est plutôt comme ça que je le dirais et je me méfie terriblement de tous ceux qui croient avoir trouvé du sens dans la vie. Que ce soit le sens étant de faire de l’argent, le sens étant de sauver les autres, le sens étant d’aimer ses enfants – ce qui est très bien, je ne critique pas. Mais non j’y crois pas, je ne crois pas à ça, je m’en méfie terriblement. La vie a un sens qui lui est propre, qui nous échappe. On en fait partie, on peut certains jours s’insurger en disant : « Mais qu’est-ce que je fous là ? Je n’ai pas envie de participer à ce sens que je ne comprends pas et qui ne me va pas », comme en disant « ben, ce sens est beau, il y a toute une poésie qui s’inscrit autour de nous, toute une évolution qui se fait, ce sens est beau et je suis content d’y participer. » Petit à petit il révèle des petites facettes de nous, mais c’est comme dans plein de disciplines : l’étendue de ce qu’on ignore est considérablement plus importante que l’étendue de ce qu’on connaît. Donc dans le sens de la vie, c’est pareil.

Est-ce que la réduction de votre vie à un sens particulier vous paraît artificielle ?

Au-delà de la réduction de sa vie à un sens – ma vie c’est d’être un cinéaste, ma vie c’est d’être une bonne mère, ma vie c’est d’être un héros, ma vie c’est de sauver la France où je ne sais trop quoi -, ce n’est pas la réduction en soi, oui déjà, mais c’est le fait d’avoir une certitude, de savoir. Il y a un état de « pas savoir » que je trouve extrêmement bien, que les religieux les plus spirituels savent entretenir, que les religieux les plus cléricaux n’entretiennent pas et là je suis très en colère, très opposé à cette approche-là. Je crois que le sens de la vie s’impose au fur et à mesure que la vie se déroule devant nos yeux. Si on est en lien avec l’autre, si on est en lien avec ce qui se passe, si on est aussi en lien avec soi, ce sens se réécrit, se déroule tout le temps. Le sens suprême on ne le connaît pas, et entre les deux il y a… Il faut suivre le sens de la vie qui arrive et non pas lui imposer ou lui plaquer un sens ou la décoder coûte que coûte.  On ne sait pas… une mission particulière ou même dix ou même vingt missions. La mission que je me suis choisie, ce n’est pas le sens de la vie, c’est ma mission que je me suis choisie. La vie, à la limite, elle en profite ou elle en profite pas. C’est tout.

Pensez-vous que certaines personnes ont une vocation qui donne un sens à leur vie ?

 Oui, oui, alors ça ce n’est pas mon cas, mais je pense effectivement qu’il y a des gens, qui sont de grands artistes, même s’ils ne font pas de l’art ils peuvent faire de la politique. On peut imaginer que Gandhi ou Mandela sont des grands artistes de ce point de vue là : ils ont construit leur vie autour d’un sens. C’est leur choix, c’est leur décision. Ce n’est pas le sens de la vie. Même si mes valeurs me poussent à être totalement d’accord avec ce qu’ils défendaient, qui est de l’ordre en plus d’une certaine éthique, donc cohésion, conservation, cohérence, enfin toutes ces choses-là, durabilité, équité, et non pas égalité. C’est toujours pareil. Ces petites différences de mots ne sont pas neutres. Voilà. Ils ont construit un sens, et c’est vachement bien. Il y a des gens qui peuvent rester sans trop mettre de sens, parce que ça les rend plus créatifs dans d’autres domaines. Les artistes sont peut-être un peu plus comme ça. Mais ils ont construit un sens et pas le sens de la vie.  Et je trouve ça très bien, que des gens s’engagent et tout ça. Je n’ai aucune difficulté.

Que signifie pour vous « réussir sa vie » ?

Alors ça c’est, alors la question d’éthique comme elle se pose pour vous se pose moins pour moi, parce que la plupart du temps je travaille tout seul, sans preneur de son ni cameraman, à part le montage, mais effectivement donner de la place aux autres c’est la meilleure façon d’en tirer le meilleur, etc. Mais la question que vous posez là elle m’intéresse bien, parce que c’est une discussion que j’ai eue avec ma fille il y a pas longtemps. J’ai une jeune fille qui est très brillante dans les études, donc hypokhâgne... et qui est appelée sans doute à construire une carrière pas mal, etc. et elle pourra faire ce qu’elle veut. Elle s’est posé une question : « C’est quoi le but ? »  Et entre mon métier, ses perspectives d’avenir, enfin peu importent tous les éléments qui sont entrés dans la moulinette, je me suis retrouvé à lui dire : « Je crois qu’il y a deux façons d’aborder une vie professionnelle. Il y a deux façons d’aborder la réussite. La réussite, est-ce que c’est de travailler toute sa vie, à faire toujours mieux, de mieux en mieux, parce que c’est ce qu’on produit qui nous intéresse, donc l’améliorer, où est-ce que la réussite c’est d’accéder aux fonctions qui témoignent d’une réussite ? » Et je pense que ce sont deux carrières totalement différentes, avec parfois des gens d’un talent inouï qui arrivent à faire les deux. Il y en a quelques uns. Et donc j’ai dit à ma fille : « En gros c’est simple : est-ce que tu veux faire des études, des recherches et des réflexions pour aller au plus loin de la pensée dont tu as besoin, ou est-ce que tu veux faire des études, des réflexions et des recherches pour aller au plus loin de la position que tu pourrais obtenir dans la société, qui est très intéressante, qui t’apportera de l’argent, du pouvoir, qui est passionnante ? Je ne la critique pas non plus ».  Mais j’ai l’impression que réussir ça veux dire deux choses différentes : bien faire où y arriver. On verra laquelle des deux est plus efficace.

Entretien réalisé le 20 janvier 2015

 

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