François Chilowicz – connaissance de soi

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce que votre démarche éthique vous apprend sur vous-même ?

Est-ce que la bonne question ce ne serait pas à l’envers ? Est-ce que ce n’est pas en travaillant sur moi-même que je peux réaliser une démarche éthique, qui au demeurant me fera du bien, parce que je retrouverai de la cohérence ? Toujours ce souci. Je crois que ça marche plutôt dans ce sens-là. On a, dans la vie on reproduit régulièrement les mêmes bêtises, les mêmes échecs, en amis, en amitié, en amour, en travail, etc., on est toujours…, c’est nous-mêmes, ça veut dire qu'on butte sur les mêmes choses, on évolue doucement, etc. À un moment donné, pour évoluer, ce n’est pas les autres. Le monde il est comme il est, bien sûr des fois il faut y changer des choses, mais c’est changer sa façon de l’aborder qui entre en jeu. La plupart de mes échecs sont digérés quand je me les attribue à moi et non pas aux autres. Donc à un moment donné il y a besoin de se connaître soi-même, de se remettre en question dans les attitudes et les petits détails de tous les jours : « Pourquoi j’allume la lumière quand j’entre dans cette pièce, alors que je vois très bien qu’il fait clair ? Pourquoi… ? » et jusqu’à la façon de parler à son équipe au travail, la façon de financer les films, à quoi sert l’argent, enfin, du plus petit détail à l’autre, ça suppose une remise en question tout le temps, pour retrouver de la cohérence. Et tout d’un coup cette remise en question alimente une attitude éthique, qui fait qu’on trouve des comportements beaucoup plus simples, beaucoup plus fluides, beaucoup plus satisfaisants, parce qu’on sait qu’ils n’enlèvent rien à personne et que dans l’ensemble ils vont dans un bon sens de continuité, de durabilité, d’équité, etc. Et à ce moment-là on se sent mieux, parce qu’on a un sentiment de vivre éthique, ce n’est pas une fin en soi, mais de vivre cohérent.

Donc c’est des petites remises en question qu’il faut faire en permanence, en permanence, en permanence. Et mine de rien, je ne sais pas si je le fais bien ou pas, je pense que je fais du mieux que je peux, mais je le vois aussi bien sur moi que sur les autres, ces petites remises en question sont très compliquées à faire. C’est vraiment plein de petits détails. Un truc tout bête : j’achète du pain. Tous les soirs on mange une baguette et demie. J’achète deux baguettes et j’en jette une demie tous les soirs ou un soir j’en achète deux et un soir j’en achète un,  et une des deux je la congèle. C’est c.., c’est vraiment c.. comme question, ça n’a pas d’importance en réalité. Répété à l’échelle d’une vie, à un moment donné, c’est : « Comment je, quel est le sens, comment je vais faire ? » Il faut trouver une fonction de, une façon de trouver qu’il n’y a pas de pain à jeter, non pas par avarice, mais c’est idiot, que l’on puisse manger à sa faim, qu’il y ait une cohérence, etc. Donc c’est… Quand je dis la remise en question, elle doit pouvoir aller jusqu’à ces petits détails-là. Alors là je me dis que c’est peut-être mon origine juive qui traduit, qui fonctionne malgré moi. Je dis ça dans le sens, non pas parce que j’ai une éducation très religieuse, j’ai une éducation traditionnelle, mais par ce que ce que je sais du judaïsme, les rabbins ont un peu tendance à interroger chacun des détails de la vie. Pour moi la remise en question c’est vraiment toutes ces choses-là et puis c’est sans arrêt le rapport qu’on a à l’autre, sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. Pourquoi je lui parle comme ça ? pourquoi je demande ça ? pourquoi j’attends ça de lui ? qui suis-je pour attendre ça de lui ? est-ce que j’ai à attendre ça de lui ? est-ce que j’ai à lui demander ? etc.

Est-ce que vous avez conscience d’un conflit entre votre propre intérêt et l’intérêt de l’autre?

Oui, ça arrive. Après, quand mon intérêt à moi n’est pas malhonnête et que j’ai en face quelqu’un qui a un intérêt divergent et que je le trouve moins honnête, je n’ai pas d’état d’âme, je trace, je tranche, vite. C’est mon métier aussi qui m’oblige à trancher. C’est vrai, je fais un métier de décideur. Alors peut-être que dans ces moments-là je suis assez malhonnête et que je lui attribue des intentions malhonnêtes pour m’autoriser à faire ce que je veux faire et à arranger ma satisfaction ? Sans doute, assurément, plein de fois. Après, s’il y a une résistance chez l’autre, je me dis qu’il doit y avoir quelque chose. C’est-à-dire, voilà, c’est souvent des discussions que je peux avoir opposées avec mon producteur, mes proches, des gens avec lesquels je bosse. Je me dis : « Si ça résiste en face, ce n’est pas forcément qu’il veuille nous embêter, c’est qu’il y a un problème quelque part. » On peut lui imposer, OK, on en a le pouvoir, on en a les moyens, on avancera, on gagnera du temps. On peu dialoguer, mais enfin on n’est pas là pour faire de l’éducation populaire. S’il ne comprend toujours pas, non on n’est pas là pour ça, il faut aller un peu plus vite ! Mais on peut en tous cas au moins essayer de comprendre ce qui se passe dans sa tête. Et ça c’est fondamental, par contre.

Entretien réalisé le 20 janvier 2015

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