Yves Lecoq – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

Quelles sont les difficultés éthiques spécifiques de votre métier d’humoriste ? 

J’ai eu deux périodes dans ma vie. J’ai eu la période assez légère : j’ai commencé avec l’époque des Carpentier, donc des imitations qui ne faisaient pas de mal, qu’on pouvait faire au nez de ceux qu’on imitait sans qu’ils s’en offusquent. Mais après ça, il y a eu le côté plus dissident avec Les Guignols, qui étaient iconoclastes au possible et qui avaient des cibles, donc qui s’attaquaient, qui défendaient soit des principes d’ailleurs de morale, etc., parce que ce sont tous un peu des anarchistes, les auteurs. Et là j’étais l’interprète d’auteurs. Je n’étais pas moi-même le concepteur et il fallait porter ces choses. Souvent cette question m’est revenue : « Mais, comment faites-vous pour dire des choses que vous ne ressentez pas ? » C’est vrai que c’était peut-être un peu là où se posait la question. En fait, moi je voyais le résultat. Certains jours, je me disais : « Là, je ne l’aurais pas dit, certainement, je ne l’aurais pas dit. » Mais ce n’était pas moi qui le disais ; c’était l’interprète qui interprétait une pièce d’un autre. En fait c’était ça. Je me dédouanais un petit peu de cette audace et le but pour moi c’était : « Quel est l’intérêt, quel est le positif de dire une chose ? » C’était effectivement de démonter, de mettre en valeur peut-être quelque chose qui justement n’était pas bien et de souligner des choses, à travers l’humour. L’humour atténuait aussi un petit peu la charge. L’humour a toujours atténué la charge, parce qu’il y a des mots qui blessent, mais s’ils sont enrobés ou présentés humoristiquement, je pense qu’ils peuvent avoir un effet positif même sur celui qui en est la cible. Donc je me rattrapais comme ça, pour m’excuser de quelquefois être le vecteur de certaines portées négatives, d’attaques, puisque c’était souvent des attaques. Les Guignols sont assez cruels…

Dans vos imitations pour Les Guignols, le fait de dire des choses parfois attaquantes, mais écrites par quelqu’un d’autre, vous permet-il d’avoir la conscience tranquille?

Ah oui ! Parce que moi, j’ai aussi mes codes d’expression sur scène et là où je reprends certaines choses de l’esprit guignolesque, j’en enlève d’autres. Parce qu’il y a des choses qui ne passeraient pas sur scène dans ma bouche, et que je ne saurais pas dire, mais qui passent dans celle d’une marionnette. Parce qu’encore une fois, c’est des marionnettes. Je ferais des imitations et je véhiculerais des mots moi-même, je n’aurais pas la même virulence qu’on peut avoir avec une marionnette en mousse, qui peut se permettre des choses énormes quelquefois. Et même en étant dans le cynisme ! Quand je fais parler plusieurs Stallone sur leur vision de l’Afrique ou de l’Europe, etc., ce sont des horreurs évidemment, qui sont faites pour montrer que le monde est vraiment cynique. C’est l’exagération qui grossit le trait et qui permet aux gens de mieux lire; donc ça c’est aussi plutôt un bienfait qu’un méfait.

La notoriété pose-t-elle des problèmes éthiques spécifiques ?

La notoriété, j’essaie de ne pas en tenir compte dans ma vie. D’ailleurs, je n’y pense pas. Je me dis : « Tiens, je suis célèbre, on va en profiter déjà. » Mais même dans mes rapports avec les gens, je ne veux surtout pas en tirer un avantage. Et plutôt, je suis obligé de faire profil bas, parce que je suis aussi gêné de cette notoriété qui fait que les gens vous mettent déjà sur un piédestal qui n’est pas toujours mérité. L’idéal, pour moi, c’est d’être dans un pays où les gens ne me connaissent pas, pour avoir des rapports normaux avec les autres.

Je n’ai jamais souhaité être une star de plus haut niveau, parce que je considère que c’est plus d’inconvénients que de…, voilà. Je veux garder les pieds sur terre. Donc ce n’est pas un regret du tout. Même si j’en vois, dans ma spécialité, qui vont réussir plus que moi, même si on a quelquefois un pincement en se disant : « Tiens, je pourrais être à sa place. » Mais c’est vite balayé par le fait que je suis bien où je suis. Donc pas de remords de ce côté-là. Et la notoriété, je préfère qu’elle soit à mon niveau que trop haut placée.

Avez-vous eu à subir la jalousie ?

Oui, mais quelquefois on ne s’en rend pas compte, parce que la jalousie est souvent déguisée. Bien sûr, la jalousie doit certainement me mettre des bâtons dans les roues par derrière, la jalousie des autres. Mais ça, je ne m’en aperçois pas forcément moi-même. Justement, par rapport à la concurrence, on a tous un instinct de jalousie. Quand on voit sa place un peu menacée — même si on ne se considère pas menacé —, quand on voit quelqu’un qui réussit dans sa propre spécialité, on pourrait être soi-même pris de jalousie. En fait, c’est là où je fais un peu d’efforts en me disant : « Bon, restons lucide et voyons ce qu’il fait ! » Au contraire, si le travail est bien fait, je deviens plus le supporter de celui qui est mon concurrent, plutôt que d’essayer de saper son travail. Et je reconnais son  talent, même si quelquefois ça peut me faire du mal !

Entretien réalisé le 4 mars 2008


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