Xavier Emmanuelli – sensibilisation

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous a sensibilisé à la question de l’éthique ?

J’ai eu le privilège, par mon métier pour le coup, de traverser toutes les grandes crises. Je suis anesthésiste-réanimateur, j’étais réanimateur aussi, donc j’ai vu des gens dans leur lutte ultime, leurs derniers moments sur la terre. Ce n’est pas neutre toutes ces nuits de bataille devant des gens à bout, avec vos machines. Et vous vous battez avec toutes vos connaissances, qui ne sont pas géniales. Si vous n’avez pas…, bon, vous vous posez la question : « Et puis quoi, qu’est-ce que je fais là ? », si vous n’avez pas l’humilité  de dire « Un jour c’est moi qui serai dans ce lit, ayant les cow-boys autour de moi ». Voilà une des questions. Vous ne pouvez pas exotiser, ce n’est pas une chose, ce n’est pas extérieur à vous, ça ne se donne pas comme ça. Depuis le 19e siècle on voit la matérialité, le positivisme, mais ça ne s’applique pas. J’ai compris que ça ne s’appliquait pas. Comme les histoires de chasse, ça voulait dire les souffrances des gens. Comment voulez-vous que je vous dise ? Ça m’est venu parce que je suis un survivant, parce que je suis vieux, quoi. Je n’ai pas eu toujours ces notions.

Ce que je crois maintenant, que c’est la Grâce qui a permis ce travail, cette initiation, cette alchimie de transformation. Et dans le fond le psychisme, comme le cœur, on est dans une dynamique, c’est comme les enzymes : on doit se transformer, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, d’ailleurs. Mais il faut une grande loyauté. Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas si je suis lâche, courageux. Je ne sais pas parce que je ne suis plus à l’épreuve, mais je sais que je suis exigeant, que je serai loyal. Je ne l’ai pas toujours été, j’avais des idées toutes faites, des appartenances, des choix politiques ou religieux, que sais-je, ou rien du tout d’ailleurs.  Mais c’est de pouvoir être clair avec soi. Et donc, comme j’ai été réanimateur, mais j’ai aussi été sur tous les terrains de crises, de catastrophes, et vous savez, quand on est, à MSF par exemple, sur des terrains de crises, l’exil, la solitude, le risque et le regard de vos camarades, tout le temps, vingt-quatre sur vingt-quatre, ça vous change un homme, ça. Donc il y a des attitudes toutes faites, j’ai lu beaucoup de choses, j’ai vu des héros, des correspondants de guerre… On pourrait calquer, mais la loyauté vous oblige à dire : « Je suis qui, moi, par rapport à ces images ? » C’est très difficile de sortir des clichés. Voilà ce que ça m’a apporté. C’est la traversée de la vie que je suis en train de vous raconter.

Entretien réalisé le 17 février 2016

 

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