Pejman Memarzadeh – sensibilisation à l’éthique

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous sensibilisé à l’éthique ?

La première éthique dont je me souviens, qui m’a construit, je ne sais pas comment je l’ai apprise ; il y avait une part qui était en moi et puis je pense effectivement à l’entourage familial. Ça c’est mes toutes premières années, je me souviens, quand j’étais en Iran. Je pense à ma grand-mère, je pense mon grand père et, je ne sais pas, c’est cette sorte de comportement de justesse, de finesse, de savoir comment à la fois prendre sa place, mais ne pas prendre plus que sa place. C’est assez indescriptible, parce que j’étais trop petit pour qu’on me fasse la morale d’ailleurs, mais j’ai ces souvenirs-là et ça a commencé par là.

Ces aspects-là m’ont accompagné dans toute ma construction et, encore aujourd'hui, je  ne cesse de dire à mes enfants : « Attention, quand vous êtes dans la rue, sur le trottoir, ne vous arrêtez pas en plein milieu, parce qu’il y a des gens qui sont derrière. Vous bloquez la circulation ! » Dans un avion, on s’installe rapidement, on ne gêne pas les autres, on fait attention, voilà. Ce sont des choses que j’ai complètement en moi, qui sont assimilées, mais que j’essaye d’inculquer à mes enfants, par exemple.

Et il y a eu d’autres personnes comme ça : des professeurs également, par leur générosité dans leur enseignement, qui n’ont jamais compté les heures qu’ils passaient à essayer de vous faire progresser, qui étaient toujours disponibles pour trouver les meilleures solutions, pour accompagner votre épanouissement artistique, votre quête technique, parfois des choses simples, vos doutes. Ces professeurs ont fait preuve également d’une attention et d’une humanité extraordinaires.

En ce qui me concerne, avec l’histoire familiale, la naissance iranienne, la musique, c’est un ensemble de personnes. Peut-être l’exil aussi a nourri ça. Il y a peut-être de l’inné aussi.

Alors ça ne veut pas dire que tout est définitif. Ce n’est pas parce qu’on a peut-être quelques notions ou des prédispositions à considérer l’éthique dans sa vie que d’abord c’est gagné et que pour ceux qui ne l’ont pas forcément, il n’y  a rien à faire. Je pense que la réponse est multiple.

Passée la phase de sensibilisation par la famille, quel est le processus qui permet, selon vous, de perfectionner sa réceptivité à l’éthique ?

Ensuite avec les années, je pense que − alors c’est une jolie métaphore – c’est  apprendre à écouter ; pas que par la musique, mais c’est apprendre à écouter. Écouter le monde, essayer de décrypter, c'est-à-dire à la fois écouter les informations, lire un peu les journaux. Moi j’ai commencé... Ma mère était journaliste, j’ai eu la chance d’être abonné à toutes sortes de magasines, de news magazines, des hebdomadaires, et de lire des sources variées qui traitent des mêmes informations avec des points de vue différents. Donc apprendre à écouter le monde et puis se forger un sens critique. Le sens critique c’est le début d’un positionnement éthique. Ensuite, progressivement, après avoir essayé de décrypter le monde, je crois que c’est la troisième étape : apprendre à écouter la différence, à être plus respectueux de la différence. De ne pas considérer par exemple… et là ça rejoint finalement la première étape de l’éthique. C’est : quel respect on a pour les autres dans un espace vital partagé ? Donc là, tout d’un coup, dans un espace vital d’adultes, qui peut prétendre que sa pensée est la vérité ? Donc apprendre à écouter, parce que la plus belle richesse de la vérité c’est sa diversité. Je pense que chacun, dans un cheminement intellectuellement honnête, une réflexion à long cours, décèle des aspects, des visages de la réalité.

Et donc apprendre à écouter c’est fondamental, parce qu’en fonction de nos histoires, en fonction de nos sensibilités, si on n’apprend pas à écouter, parfois alors que même on est en phase sur tout l’essentiel avec un ami, par exemple, ou un collaborateur, on va parfois réussir à ne plus se comprendre, à se faire la guerre presque, parce que tout d’un coup, à un moment donné, on n’a pas été assez à l’écoute, on n’a pas pris le temps, la peine, de remettre en perspective nos visions, qui sont différentes. Les remettre en perspective avec respect, avec ouverture, et c’est ce qui permet effectivement de passer à une autre étape.

La capacité d’être réceptif à l’éthique dépend donc surtout des faveurs que peut nous donner notre milieu social ?

J’ai envie de vous répondre : des faveurs et des défaveurs, effectivement. Vous savez, ce n’est pas parce qu’on a une vie heureuse et facile qu’on regarde le monde avec des yeux plus grands ou plus ouverts. Je pense que parfois, dans l’adversité, vous développez un sens peut-être plus justement…, un instinct à la fois de survie − l’attention aux autres, parce que vous vous sentez plus en situation de fragilité − et peut-être que le confort n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux pour développer l’attention aux autres et se remettre en question dans son rapport avec le monde. J’en suis même plutôt convaincu. Je dirais que l’adversité, les épreuves sont autant d’outils, de remises en question − il faut vraiment les prendre comme tel −, pour essayer d’avancer et d’aller plus loin, et de sortir de sa condition première et de son ignorance première, parce que finalement toute la vie on essaye d’aiguiser sa conscience. Et l’éthique est l’un des domaines dans lequel on peut vraiment exercer une grande réflexion et de grandes avancées au fil de sa vie, je crois.

Entretien réalisé le 5 février 2008

 

 

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