Miguel Angle Estrella – éthique dans le couple et connaissance de soi

Transcription de la vidéo

Pouvez-vous nous parler du moment où, avec votre épouse Martha, vous avez choisi de devenir des musiciens sociaux …

Quand je suis arrivé à Buenos Aires, donc j’ai connu Martha et on a commencé à transiter sur un schéma avec les mêmes valeurs. On était différents. C’était le début du féminisme, donc Martha a été beaucoup pour l’initiative des femmes aussi et il fallait partager tout dans le foyer. Et c’est elle qui disait ça : «  Le féminisme en tout cas ne doit pas être la contrepartie du machisme. » J’ai compris très bien et je crois, enfin j’ai senti que c’était une très bonne définition et que ce n’était pas un combat entre l’homme et la femme, parce qu’on est fait pour marcher ensemble.

En faisant notre chemin de couple, on était vraiment révoltés contre tout ce que la société nous proposait, parce que quand nous avons commencé à gagner des prix, on nous prenait pour le couple idéal. On était beaux, jeunes et chacun de nous avait ses talents. Alors on voulait nous vendre comme le couple idéal et on faisait une résistance active à tout ça.

Nous nous sommes proposés, par exemple, de développer tous les bons côtés que chacun avait. Et nous nous disions l’un à l’autre que peut-être en exploitant le meilleur que nous avons, cela va prendre une telle place dans nos vies qu’il n’y aura plus de place pour les mauvais côtés. Alors on s’était engagé à être l’avocat du diable loyal de l’autre. Et parfois il fallait faire appel à l’humour, parce qu’il fallait que l’amour, qui était immense entre nous deux, ait la première place. Il ne fallait pas donner de leçons de morale.

Vous pourriez illustrer cette relation privilégiée sur le plan de l’éthique par des expériences vécues ?

Une autre fois, elle s’était présentée à un concours et avait gagné ; enfin, elle avait eu le deuxième prix. Le premier prix, c’était une Italienne qui l’avait eu. Je me souviens, il était midi, elle était enragée, enragée. Pendant qu’elle faisait la cuisine – moi j’avais très faim, je me souviens : « Martha, j’ai faim, j’ai faim !» – et elle me dit : « Oui, oui mais tu t’imagines, on ne peut pas chanter Brahms avec cet accent italien insupportable, on ne peut pas chanter Fauré comme si on était en Sicile, et on ne peut pas…. Ah ! Ah !» J’ai dit : « Basta, negra, basta, basta ! » Et à un moment donné elle prend conscience qu’elle était envieuse, quoi. Elle me dit : « Merde !» Alors elle a pris le téléphone et elle a téléphoné à la fille, et elle lui dit : « Mariza, tu as une voix que j’aimerais pour le dimanche pour moi. Je ne suis pas d’accord avec la manière dont tu chantes Brahms, je ne suis pas d’accord avec la manière dont tu chantes Fauré, mais ton prix est très bien accordé. Je te félicite, salut ! »  Alors elle arrive dans la cuisine et me dit : «  Ah, je me suis débarrassée de l’immondice que j’avais en moi ! » Ce sont des choses fantastiques, de pouvoir parler de tout ça, parce qu’il y a dans la relation non seulement de couple, mais dans les relations tout court, les rapports entre les êtres humains, des non-dits, des problèmes qu’on ne peut jamais surmonter si on ne parle pas.

Entretien réalisé le 14 juin 2008

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