Maurice-Ruben Hayoun – éthique, justice et droit

Transcription de la vidéo

Quel rapport faites-vous entre le droit et l’éthique ?

Je le perçois d’abord dans ses limites et vous avez raison de revenir là-dessus, parce que... vous connaissez la célèbre réplique : « Je demande la justice et on me dit : voilà vos droits ! » C’est vrai, le droit c’est une sorte de justice codifiée. Imagine qu’on te vole ta voiture. Ta compagnie d’assurance dira : « Très bien, la voiture était neuve, mais il y avait un coefficient de vétusté... » Ils s’arrangeront toujours pour te rembourser moins que ce à quoi tu penses avoir droit. Tu considèreras que la justice n’a pas été parfaite, au sens latin du terme, c’est-à-dire absolue, sans aucune restriction. Mais ça c’est malheureusement le risque inhérent à toute aventure humaine. C’est pour ça que moi, au risque de susciter les rires, et tout en étant un philosophe rationaliste, je dis toujours, et je l’écris même : « Si Dieu le veut », ou « Dieu voulant. » Et on peut mettre derrière Dieu ce que l’on veut : les circonstances, la chance, le hasard, la providence, tout ce que l’on voudra. Mais quand on voit comment un petit grain de sable peut tout faire tomber, un petit grain de sable dans les mécaniques les plus préparées, les mieux huilées, on ne peut pas demander au droit d’être aussi parfait que la justice. Mais le droit, c’est quand même mieux que de se faire justice soi-même, par exemple, et c’est en tout cas nettement mieux que la vengeance.

Et je dois dire, l’une des premières prescriptions bibliques... La Bible a deux types de prescriptions : elle a le commandement positif, c’est-à-dire : « Voilà ce que tu dois faire ! » Et elle a le commandement négatif, c’est-à-dire : « Voilà ce que tu ne dois pas faire ! » Le premier commandement positif, qui est le plus agréable, c’est : « Croissez et multipliez ! » C’est-à-dire faites l’amour ! Très bien. Le premier commandement négatif, c’est : « Tu ne te vengeras pas et tu n’exerceras pas de représailles. » Je dois dire que c’est le seul commandement que je ne peux pas, parfois, effectuer comme je le devrais, ce qui montre combien l’aspiration à la justice, la détestation de l’injustice sont fortes, sont très enracinées en chacun d’entre nous. Churchill disait lui-même, dans je ne sais plus quelle formule, il disait : « On peut tout accepter, mais les couteaux sortent de leur gaine dès qu’on est confronté à une injustice trop criante. »

Et c’est pourquoi je pense que l’éthique - c’est un mot un peu galvaudé aujourd’hui, il faut bien le dire, depuis le temps d’Aristote, avec  L’Éthique à Nicomaque, ou L’Éthique à Eudème, ou L’Éthique de Spinoza, par exemple – c’est quand même un mot qui est un  mot sacré, à mes yeux. Par conséquent, il est, comme toute chose de ce bas monde, incomplet, imparfait. Mais après tout, tant qu’il y a une histoire humaine, tant qu’il n’y a pas de règne des fins, comme l’appelait Kant, ou d’époque messianique, comme l’appellent les Juifs, l’humanité marche vers un idéal dont la caractéristique majeure, à mes yeux du moins, est d’abord une conformité avec l’éthique. Et une éthique qui n’est pas nécessairement religieuse, qui n’est pas nécessairement athée, mais qui est une éthique, je dirais, humaniste. Il ne faut pas oublier que Socrate lui-même reconnaissait que l’homme – et Socrate était un politique, il ne faut pas l’oublier, ce n’était pas un chrétien, encore moins un juif, et il est mort en 500 avant Jésus à peu près –, et il disait : « L’homme ne saurait être la mesure de toute chose ; ce sont les dieux qui sont la mesure de toute chose. » Il rejetait dans une sorte de transcendance abstraite ce qui peut constituer pour l’homme un modèle, un canon ou un critère.

Entretien réalisé le 6 décembre 2007

 

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