Maurice-Ruben Hayoun – éthique et société

Transcription de la vidéo

Comment faire passer des idées de tolérance dans le contexte actuel ?

Oui, il y a une tension polaire. Ce n’est pas d’hier que l’on parle de nettoyer les écuries d’Augias. Mais je crois que ça tient à nous, ça tient à l’homme. Il y a un philosophe allemand qui parlait de je ne sais plus qui, et qui a dit : « Pourquoi a-t-il échoué ? » Il a dit : « Il a échoué par l’homme, er scheiterte am Menschen. » C’est-à-dire que les hommes que nous sommes sont enclins à suivre, à écouter, à être d’accord avec ceux qui parlent le mieux, le plus facilement, ceux qui disent un peu n’importe quoi, c’est-à-dire la théorie du moindre effort. C’est un peu triste. Ce qui pourrait pousser des individus comme moi – j’ai presque envie d’ajouter, des individus bien meilleurs que moi –, ce qui pourrait les aider et les conduire à s’engager davantage, c’est peut-être une meilleure ouverture sur les idéaux humanistes de la société.

Ne critiquons pas la terre entière. Allumons notre poste de télévision, si nous en avons un, à partir de vingt heures. Nous allons voir... Les journalistes ne sont pas responsables des nouvelles qu’ils apportent, il ne faut pas identifier l’homme et les opinions qu’il rapporte. Mais tout de même, regardons un petit peu ce cynisme, cette espèce de caractère éhonté. On dit : « Il y a cinquante morts dans une mine en Chine. » Je ne dis pas qu’il faut s’arrêter trois heures pour pleurer et passer à autre chose, mais il y a une sorte de successivité qui est insoutenable. Je suis en train de prendre mon petit-déjeuner, c’est-à-dire que je me nourris, et puis j’entends ceci, cela, et tu voudrais te mettre dans ce chaudron-là ? Il faudrait qu’il y ait véritablement une action éducative de l’homme, il faudrait que la politique renoue peut-être, pas avec un pacifisme bêlant, mais qu’elle renoue avec ses sources. C’est le gouvernement de la Cité. Sans être platonicien, mais on peut tout de même rappeler les grands principes : Platon nous dit dans sa Politique que les sages qui ont dirigé la cité, une fois qu’ils ont dit : « Nous avons fait notre travail », partent d’eux-mêmes, ce qui est déjà une pétition de principe.

C’est comme ça. L’homme doit changer, on doit l’aider à changer et on doit lui dire qu’à part le pouvoir il y a en soi une richesse. Y a-t-il plus grande richesse que l’amour d’une femme et d’une famille ? Surtout quand tu as de l’argent, de l’intelligence, de la santé, une bonne situation. Est-il obligé de courir, de se battre, de battre les autres, de se faire battre par eux, uniquement pour le pouvoir ? Il faut donc que l’attitude, le rapport au pouvoir change. Est-ce qu’on le vivra ? Je n’en sais rien.

Donc je pense, pour répondre plus strictement à votre question, que la meilleure manière pour que les élites, les vraies élites se chargent du gouvernement de la cité, c’est une meilleure éducation politique. Mais ça, c’est un petit peu, si je puis dire, comme le messianisme. Je m’explique. La conception populaire du messianisme, c’est qu’un jour il va y avoir un roi qui va arriver, la Tour Eiffel va se déplacer, le Trocadéro aura fait deux pas en avant, 2 et 2 ne feront plus 4. Pas du tout. La vraie conception philosophique du messianisme, c’est qu’un jour nous nous couchions tous en nous disant : « Demain nous serons meilleurs. » Nous intégrions au fond de nous les idéaux messianiques. Le lendemain, l’humanité est devenue messianiste. Pourquoi ? C’est parce que nous avons changé. Mais encore faut-il le vouloir, et j’ajoute, le pouvoir. Mais il y aura, hélas, toujours des extrémistes, des opportunistes, des hommes et des femmes sans foi ni loi pour coiffer au poteau ceux qui auront pris de sages résolutions comme nous. Et le pire, c’est que la masse les suivra.

Entretien réalisé le 6 décembre 2007

 

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