Marie-France Hirigoyen – transmission de l’éthique

Transcription de la vidéo

Que vous semble-t-il important de transmettre en matière d’éthique ?

Apprendre à s’interroger, apprendre à douter et développer son esprit critique. Alors, pourquoi développer son esprit critique ? Moi je travaille sur la violence. En particulier je ne travaille pas forcément sur les violences visibles, mais sur le glissement qui nous amène d’un comportement, je dirais supposé normal, vers un comportement violent. À quel moment on est dans la violence ? C’est quelque chose qui n’est pas du tout évident. Quand on est dedans, généralement, on ne le voit pas facilement, et c’est pour ça que je crois que c’est essentiel que chacun apprenne à développer son esprit critique. Or, je trouve que les jeunes, on ne leur apprend pas ça. On ne leur apprend pas à juger d’un « est-ce que ça c’est acceptable ? Est-ce que ça, ça ne l’est pas ? » On émet des jugements très rapides, comme ça : c’est blanc ou c’est noir, ça se fait ou ça ne se fait pas. Je crois qu’il faut introduire de la nuance et ça, forcément, ça prend du temps.

À qui devrait revenir ce rôle d’éducateur ? Aux parents ? Aux enseignants ?

Tous les parents n’ont pas les capacités de transmettre quelque chose à leurs enfants, soit pour des raisons culturelles, soit pour des raisons psychologiques ; les parents n’ont pas toujours ça. Alors ça pourrait revenir aux enseignants, mais les enseignants, d’abord c’est une profession qui s’est beaucoup, qui a été très dévalorisée et les enseignants ont du mal à se faire entendre, à se faire respecter par les élèves. Or là, je crois qu’il y a quelque chose qui est important, essentiel, c’est le respect. Alors comme la transmission ne se fait pas bien, parce que justement il n’y a plus ce respect de l’adulte ou de la personne qui sait un peu mieux, qui peut transmettre quelque chose. Je crois qu’il faut essayer à tous les niveaux, mais ça peut venir aussi d’autres personnes extérieures : ce n’est pas forcément les enseignants, ça peut être des rencontres que l’on fait. Alors autrefois il y avait la religion, qui venait apporter des normes, qui venait dire un peu aux jeunes ce qui pouvait se faire, ce qu’il y a de bien, de pas bien. Bon maintenant la religion n’est plus vraiment un guide ou un repère.

Ce que je constate c’est qu’il ya quelquefois des rencontres qui permettent d’avancer. Dans mon premier livre sur le harcèlement moral, la première phrase – je la connais par cœur – c’est : « Dans la vie il y a des rencontres qui vous permettent de donner le meilleur de vous-mêmes et puis il y a aussi des rencontres qui vous sapent et qui viennent finalement vous détruire. » La formule n’est pas tout à fait ça… En tous les cas, j’y crois vraiment. C’est-à-dire qu’il y a des personnes, des individus qui savent vous transmettre quelque chose, vous donner envie d’avancer, vous donner envie de devenir « meilleur » (entre guillemets), de donner le meilleur de vous-mêmes.

C’est-à-dire que je crois qu’au fond, peut-être je suis un peu naïve quand je dis ça, mais je crois qu’on a chacun au fond de soi, au départ, une grande disponibilité à plein de choses. Après on le développe ou on ne le développe pas et ce sont les rencontres que l’on va faire qui vont nous permettre de le développer ou de ne pas le développer. Mais je sais aussi qu’un enfant ça se casse facilement. De par mon métier je vois des personnes qui ont été cassées en tant qu’enfant, parce qu’on leur a dit qu’ils étaient nuls, parce qu’on ne leur a pas fait confiance, parce qu’on les aura disqualifiées, humiliées, etc. Donc je crois que les adultes, ceux qui ont une position quelle qu’elle soit, ont une grande responsabilité de transmettre toutes ces bonnes choses-là pour donner de l’élan aux jeunes pour avancer.

Avez-vous fait des rencontres qui vous ont marquée positivement ?

Quand j’étais jeune je pense que je n’avais pas vraiment un personnage comme ça, mais je lisais beaucoup et je me projetais beaucoup dans toutes ces personnes qui avaient fait des grandes choses. Quand j’étais enfant, très jeune, je voulais être Jeanne d’Arc, je voulais partir comme ça pour mener des troupes, pour des bonnes choses bien sûr. Ensuite, quand j’ai commencé mes études de psychiatrie, j’ai fait une analyse et après j’ai été accompagnée par des analystes qui m’ont permis d’aller chercher en moi ce qu’il pouvait y avoir de bien.

Entretien réalisé le 28 janvier 2011

 

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