Macha Méril – définition de l’éthique

Transcription de la vidéo

Pouvez-vous nous dire dans un premier temps ce qu’est l’éthique pour vous, comment vous la définiriez ?

C’est une grande question à laquelle je pense beaucoup justement en ce moment, parce que pour moi c’est lié à la notion du bonheur. Qu’est-ce que l’on fait sur cette terre et comment est-ce qu’on se débrouille avec l’horreur ambiante ? Parce qu’il faut quand même dire que le monde n’est pas très appétissant. Moi quand j’étais petite, on appelait ça la morale. L’éthique pour moi c’était la morale; et je pense que le sens est quasiment le même. C’est dommage qu’on l’ait abandonné, ce mot de morale, parce que c’était une chose comme un mot presque justement pour les enfants, un mot un peu plus facile que le mot éthique. Et qui est – si vous permettez – une sorte de petite barrière, de petite frontière que quelque fois les jeunes ont du mal à traverser. Ou surtout ils pensent qu’il faut avoir fait des études et être cultivés pour comprendre ce qu’est l’éthique. L’éthique c’est tout simplement la ligne de conduite, à laquelle on est plus ou moins préparé, mais qui est indispensable pour être sur cette terre et pour pouvoir être heureux. Et j’insiste beaucoup là-dessus, parce que je pense qu’il n’y a rien d’autre qui donne le bonheur que d’être en paix avec soi-même et avec ses convictions. Donc, ce n’est pas une petite question, c’est absolument fondamental parce que cela englobe absolument l’ensemble de notre vie sur terre.

Quelle différence faites-vous entre le mot éthique et le mot morale, sachant que d’un point de vue étymologique,  ils sont très proches ?

Je pense qu’il y a eu des dommages faits par les intellectuels. Je suis en pétard contre les intellectuels en ce moment. Je pense d’ailleurs qu’autour des grands phares de nos civilisations, je pense au Christ par exemple, il n’y avait que des gens très simples, des illettrés mais c’étaient des gens de cœur. Et que depuis 68, auquel j’ai participé et qui était un grand espoir de morale, d’éthique, justement qu’on assainisse la société et qu’on la rende plus juste, ce qui est un rêve, mais le rêve fait partie de ce désir de morale. Et il y a eu plusieurs générations qui ont tout massacré. On a massacré le couple, on a massacré l’amour, on a massacré les sentiments. On a créé une espèce de monde soi-disant plus libre et qui est en réalité est un monde de décombres sur lequel les jeunes ont beaucoup, beaucoup de mal à se construire.

Qu'est-ce qui vous a sensibilisée à l'importance de l'éthique? Est-ce votre éducation? Autre chose?

 Si on réfléchit bien c’est toujours de la même question dont il s’agit, c'est-à-dire de trouver un but à la vie, de trouver une ligne de conduite. Je répète : pour moi, la morale c’est ça, c’est une espèce de ligne sur laquelle on sait que si l’on déroge et bien on ne va pas marcher droit. C’est comme pour les plantations, vous savez ce que l’on appelle le cordeau. Et quand on a une certaine éducation, justement, c’est plus facile de suivre le cordeau. Donc, évidemment, au sein de la famille, surtout dans les familles qui ont été très remuées comme la mienne, on se resserre autour de la morale et autour de la notion de ce qui est bien et ce qui n’est pas bien. Parce que si nous avons été chassés de la Russie, c’est parce qu’à l’époque un autre bien et mal se sont construits, dont nous étions exclus. C’est-à-dire que l’on considérait que nous incarnions le mal. Et il a fallu naturellement à mes parents nous élever dans la notion que pas du tout, que nous n’étions pas coupables, que nous n’avions pas fait de choses épouvantables – ce qui est tout à fait vrai – et que donc, j’avais depuis l’enfance, très fortement, cette notion d’une morale qui avait été bafouée, dont mes parents avaient été victimes, mais que j’avais en quelque sorte à réincarner d’une façon encore plus forte.

Je pense que naturellement ils nous ont transmis ce qu’eux avaient reçu, c'est-à-dire le sentiment d’être dépositaire de quelque chose de précieux, de rare et qui est indispensable pour la vie de tous les jours. C’est ça la morale. C'est que ce n’est pas un sport, ce n’est pas un luxe, c’est quelque chose de fondamental qui te permet de vivre. Voilà.

Alors évidemment pour nous, la deuxième génération, et encore plus pour les générations qui suivent, c’est très fort qu’ils se soient sauvés, qu’ils soient arrivés à reconstruire une vie dans un autre pays : en France. Ils étaient extrêmement reconnaissants que la France nous ait accueillis, c’est véritablement une terre d’accueil. Et le drame actuel, c’est que la proportion de l’émigration est devenue telle que c’est très difficile d’être une terre d’accueil pour tout le monde. Mais pour nous, pour nos familles qui étaient des familles évidemment éduquées, avec tout de même des bases religieuses qui sont assez proches du catholicisme – puisque les orthodoxes sont assez proches –, donc nous avons été très bien accueillis. En droit, pas en cœur. Je pense que les français ouvrent difficilement leur cœur. C’est peut-être une qualité, c’est peut être comme le médecin qui ne doit pas avoir trop d’empathie avec le malade qu’il soigne, parce que sinon il souffrirait de trop à chaque intervention, à chaque opération. Mais moi, personnellement, j’ai un peu souffert de cela. J’ai souffert de ne pas sentir de l’accueil joyeux. C’était sérieux, c’était sûr, nous pouvions compter sur les lois mais nous n’avions pas cette ambiance d’amour et d’affection.

Alors, moi je l’ai un peu trouvée, cahin-caha, dans le marxisme, et dans, disons, les grandes idées de gauche et puis je l’ai trouvée dans mon métier. Je l’ai trouvé dans mon travail, c'est-à-dire que si j’ai choisi d’être comédienne c’est justement vite pour transmettre, parce que je pense que je suis en première ligne en quelque sorte. Et je ne le sens pas du tout comme un devoir mais comme un choix judicieux, astucieux que j’ai fait pour pouvoir donner mes petites règles de vie. Voilà. Et non seulement par la façon dont je joue, mais par la façon dont je suis, même mon physique. Si je continue à être une femme que l’on regarde, que l’on envie, que l’on souhaite imiter, c’est ça que nous sommes nous les actrices, nous sommes des

Entretien réalisé le 20 septembre 2007

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