Laurent Bibard – éthique et vie professionnelle

Transcription de la vidéo

Quelles sont les difficultés d’ordre éthique spécifiques à votre activité professionnelle ?

Il y a plusieurs choses. À la fois comme professeur et comme directeur, je m’adresse à des publics qui sont très jeunes, en gros vingt ans, et puis des publics beaucoup plus âgés, jusqu’à soixante, etc., en formation permanente. Partout il y a la question du bord. Alors c’est plus flagrant pour les jeunes, mais quand même, le rapport à la loi, à l’interdit, et pour les jeunes à la mesure et à la démesure. Et il y a à se demander comment autoriser pour les jeunes les essais de vivre et d’essayer le désir, d’essayer... Je m’en réfère à Platon, donc j’y vais avec une relative quiétude, mais d’essayer le vin…, j’allais dire l’alcool. Le mot d’alcool me déplaît. D’essayer les liqueurs qui peuvent conduire à de la démesure. Platon consacre vingt pour cent des Lois, de ses Lois, - ce n’est pas La République, là, c’est, ce sont Les Lois, – deux livres sur dix à traiter la question de savoir comment on peut apprendre aux jeunes à boire. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire : comment on peut apprendre, dans la cité, à ce qu’il y ait une démesure acceptable socialement, et pour le traduire en nos termes à nous : comment apprendre à innover sans trahir les règles d’une vie collective acceptable.

La question de la jeunesse est par excellent celle de la démesure et celle de l’essai. Que sont les transgressions ? Qu’est-ce qu’elles valent ? Jusqu’où est-ce qu’on résiste ? Comment est-ce qu’on essaye le bord de la vie ? Comment est-ce qu’on s’essaye à vivre. Et la question pédagogique de savoir jusqu’où on autorise et à partir de quand on bloque, ça c’est la question structurante de la pédagogie, je pense, pour le jeune âge. Je crois qu’elle vaut toujours.

Auriez-vous un exemple concret concernant cette question pédagogique essentielle ?

Oh ! C’est tout simple : on est actuellement dans un monde où malheureusement il y a des excès très réels sur les fêtes des jeunes, très réels, qui dépassent toutes les institutions, qui posent de vraies difficultés, et la question est de savoir jusqu’où on autorise quoi comme consommation d’alcool et comme comportements dans les soirées. C’est une vraie question. Moi je ne veux pas interdire. Je pense que c’est beaucoup plus dangereux que d’autoriser en responsabilisant. Mais interdire c’est créer des lieux interlopes, non dits, cachés, pervertis, malsains, de consommation et de rapports à la démesure débridées, mais par devers le monde collectif, précisément, par devers la cité en quelque sorte, par devers un monde ouvert, où on est autorisé à respirer et à essayer, dans une certaine mesure. Je pense qu’il ne faut pas interdire, mais il faut orienter en responsabilisant. Evidemment, avec les précautions absolument nécessaires pour protéger, quand il se doit. Là aussi il faut savoir être coupant, dire non. Mais je pense que dire non ex ante en n’interdisant aucun essai, c’est catastrophique pédagogiquement. Mais du coup, la question de savoir jusqu’où on autorise quoi se repose sans cesse. Il n’y a pas de réponse à priori ; et ça demande beaucoup de transactions.

Une capacité d’écoute ?

Oui, d’écoute, d’analyse, d’investigation, de préparation d’un terrain, d’anticipation, de négociation, de responsabilisation collective, de préparation de la période nécessaire, et j’ai le bonheur d’être accompagné de collègues remarquables sur ce plan.

Entretien réalisé le 8 décembre 2008

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