Juan-David Nasio – transmission de l’éthique

Transcription de la vidéo

Vous avez dit que vous essayez d’imprégner vos patients de votre éthique.

C’est-à-dire que l’éthique chez le patient apparaît tout de suite à travers ses comportements, ses troubles, ses difficultés. C’est-à-dire que quand il y a un patient qui vient me consulter parce qu’il souffre de problèmes avec son enfant, mettons une maman qui a des problèmes avec son enfant, une maman et un papa qui sont préoccupés du fait que leur enfant peut avoir un retard un peu sérieux et que ça peut annoncer un autisme ou un trouble chez un enfant. Comme j’ai eu le cas vendredi, où j’avais le père et la mère ici en me demandant : « Docteur, nous sommes terriblement angoissés : on a l’impression que notre enfant est un enfant autiste, etc. » Je leur ai dit : « Mais vous êtes tous les deux des parents très angoissés. Vous êtes à l’affût de la moindre difficulté. Vous prenez avec une loupe le moindre comportement de votre enfant, et d’ailleurs je vous demande : Ne le faites pas, sinon vous allez provoquer chez l’enfant ce que vous voudriez voir éviter ! Donc calmez-vous ! Je comprends, à votre place j’aurais été comme vous. Mais je vous demande… » Vous voyez comment je parle : « Mais je vous demande… » Voilà l’éthique, là, quand je dis, je parle en disant : « Moi j’aurais vécu ça », ça les calme. Parce que je ne suis pas un médecin extérieur qui vient magistralement leur dire la vérité. Je suis comme eux, et je leur dis : « Oui, je comprends et moi à votre place je ferais ça. Mais essayez de faire l’effort de ne pas déranger votre enfant avec votre angoisse. Vous êtes trop angoissés. Même si je la comprends cette angoisse, c’est une angoisse que vous pouvez réduire. Je vous demande d’avoir la volonté de réduire cette angoisse. » Voilà l’éthique présente chez eux. Quelle est l’éthique ? C’est l’éthique de la peur. Eh bien à moi de lui dire : « Du calme ! Si nous voulons résoudre le problème, d’abord retirons une angoisse extrême qui est plus nocive que positive!"

Chaque fois que je parle, d’une certaine façon j’enseigne. Et quand j’enseigne, c’est de la psychanalyse ; j’enseigne la psychanalyse et j’enseigne l’éthique. Lacan disait : « Quand un psychanalyste parle, il enseigne. » C’est vrai : dès qu’on parle, on enseigne. Parce qu’on a tellement appris avec notre cabinet. Vous imaginez, ici c’est une fenêtre de la vie. Je vois de tout, mais vraiment tout : des gendarmes, des voleurs, des pédophiles, des prostitués, des travestis… Si vous voyiez le travesti qui vient là ; je suis enchanté avec mon travesti. Il m’apprend des choses extraordinaires, mon travesti ! J’ai un travesti qui m’adore, sans problème. Il me dit : « Docteur, c’est formidable ! Depuis que je viens vous voir, j’ai beaucoup changé. Si ça continue comme ça, je ne serai plus travesti, docteur ! Arrêtez, parce que je vis de ce métier ! » Et il vit de ça ! C’est formidable, vraiment ! Il est souffrant, bien entendu, mais c’est un homme qui m’apprend beaucoup. Eh bien, il sent ça, il sent mon plaisir de travailler avec lui et je lui fais du bien. C’est ça l’éthique, en permanence.

À la base de tout votre travail il y a un véritable amour de l’autre ?

Absolument. C’est vrai que – et là ça m’émeut un peu –, c’est que mon père était médecin. Donc il m’a appris beaucoup et je me souviens qu’il serrait la main des patients et quelquefois il me disait : « Tu vois... », et il avait la main mouillée, la main moite.  Et il la serrait de toute façon. Et je trouve que moi je suis fier d’avoir été médecin, d’être médecin. Parfois il y a des patients qui sentent l’odeur de la transpiration, il y a des patients qui ont la main moite quand je la serre. L’autre jour une dame se lève et me dit : « Docteur, regardez ce que j’ai ici ! » Il y avait des pustules qui étaient dues à des puces. Je dois dire que, je ne vous cache pas que je me suis dit : « Zut, espérons qu’elle ne va pas m’imprégner de puces, qu’elle ne va pas me mettre des puces dans le cabinet ! » Mais tout ça fait partie du médecin que je suis. Je me sens accueillant de l’autre tel qu’il est et – vous l’appelez amour de l’autre –, oui, c’est l’amour de mon métier et l’amour de l’autre.

D'une manière générale, comment transmettre l’éthique ?

Ça se transmet de parent à enfant, ça se transmet l’éthique. Ça se transmet de maître à élève, bien sûr. Mes maîtres à moi m’ont transmis une éthique. Mon père médecin m’a transmis une éthique de médecin. Quand j’ai dit que je sers la main du patient ou je lui demande de me voir, il me dit : « Non, mais docteur, elle est toute moite » – « Ce n’est pas grave, donnez-moi, donnez-moi ! » Ça c’est un médecin et c’est mon père qui m’a transmis ça, et certainement je le transmets aussi à ma façon.

Donc l’éthique se transmet. Elle se transmet en général de nos aînés aux plus jeunes. Par la vertu de l’exemple, par la vertu de l’expérience, voilà. Et par la lecture aussi, mais bon ça c’est un peu spécial. Mais évidemment l’éthique se transmet aussi par la lecture, par l’apprentissage de tout ce qu’ont été nos maîtres et au son des écrits, des livres qui ont été écrits. En écoutant le site de la Fondation Ostad Elahi, en écoutant notre dialogue, en lisant des livres, en parlant avec ses parents. Il faut que les parents enseignent ça à leurs enfants.

 Entretien réalisé le 8 mai 2011

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