René Frydman – sensibilisation à l’éthique

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce qui vous a donné cette sensibilité à la question éthique ?

C’est difficile de répondre à cette question. Je suis le produit d’une période, quand même, et d’une période qui a été marquée par les grands drames de l’humanité et des formes de barbarie. À partir de là, c’est sûr que j’ai une conscience aiguë de ce qu’a été le nazisme, de ce qu’a été le racisme, enfin de ce qu’est le racisme et ce qu’est la discrimination. Donc une certaine réflexion sur tous ces thèmes. Et puis, comme par hasard – mais justement il n’y a peut-être pas de hasard – le métier médical que j’ai choisi est très confronté justement à des interrogations de société, que ce soit, par exemple, l’avortement, pas l’avortement, la fécondation in vitro ou la médecine fœtale. C’est toujours une médecine qui est prise dans un réseau de questionnements fondamentaux.

Y a-t-il eu des rencontres ou des lectures qui ont favorisé cette prise de conscience et cette capacité d’action éthiques ?

Non, je crois que ça a toujours été très diffus. Il est vrai que c’était déjà peut-être favorisé par la deuxième dimension, c’est-à-dire par l’approche disons psychologique, mais aussi psychologique des personnes et des patients que de nous-mêmes. Ce qu’on faisait à l’époque c’était les groupes de médecins, les groupes Balint, qui avaient des discussions sur comment on pouvait interpréter ce que vivait ou ce que ne vivait pas un patient. C’est donner de l’importance à ce qui n’était pas forcément enseigné dans la faculté de médecine, mais qui pourtant constitue... Je prends un exemple : comment annoncer une catastrophe ? Vous rentrez dans une chambre et est-ce vous allez dire : « Écoutez madame, voilà, vous avez un cancer, maintenant j’en ai la preuve » ; ou bien : « On vient de faire une écho et votre enfant a ceci, ceci, cela, va avoir cela » ou – encore pire – « il risque d’avoir ceci et ceci, mais, dans un pourcentage de cas, etc. » ? Toute cette annonce-là, on n’a pas appris à le faire. Or pourtant, le sel du métier de médecin c’est ce savoir-faire. Alors ça se fait par compagnonnage, par rencontres.

Alors oui, pour répondre à votre question, j’ai rencontré de grands humanistes, oui ! J’ai rencontré des grands médecins humanistes. Je pense à des gens, par exemple comme le docteur Bidowski, qui m’a enseigné à Saint-Antoine, quand j’étais externe, et qui avait une façon de sentir : en dehors de savoir reconnaître dans une toux si c’était bronchique ou pas, il avait d’abord une approche de l’humain qui était très forte. J’ai eu la chance de rencontrer beaucoup le professeur Jean Bernard, puis j’ai été nommé au Comité National d’Éthique, donc c’est sûr que j’ai commencé à baigner un peu dans cet entourage. Des rencontres comme Jean Bernard… Il y a des hommes et des femmes qui ont un recul, qui ont essayé de replacer les recherches techniques ou les développements dans une notion de l’homme. Et quelqu’un comme Jean Dausset. Il y a des écrits aussi, parce que je ne les ai pas connus tous directement. Jean Dausset oui, mais des gens comme Jacob, il y a aussi ses écrits. Et puis il est vrai que la tradition, je dirais la tradition des Curie, enfin ces scientifiques en prise sur leur société, c’est une image qui m’a toujours plu. Curie, par exemple. Il y avait aussi quelqu’un – vous me faites revenir quelques souvenirs –, quelqu’un comme Laurent Schwartz, qui était un mathématicien, un statisticien, et qui s’était engagé pour la fin de la guerre d’Algérie. Voilà, ce sont des gens qui avaient une personnalité, une approche. Elie Wiesel, aussi. Vous voyez, il y en a beaucoup, finalement, il y en a beaucoup.

Entretien réalisé le 14 mai 2008

Les commentaires sont fermés.