René Frydman – éthique religieuse, éthique laïque

Transcription de la vidéo

Diriez-vous que l’éthique est peut-être le lien commun de toutes les traditions ou de tous les hommes, quelles que soient leurs références culturelles et religieuses ?

Je dirais que c’est une vision moderne et de convergence, et on peut comprendre que dans chacune de ces philosophies il y ait des orthodoxes qui ne bougent pas d’un iota. On est tout de même dans une espèce de modernité, qui tient compte de cette culture, mais qui justement est moins dogmatique et qui, au cas par cas, essaye de mettre en balance les conséquences de tel ou tel interdit par rapport à une valeur suprême qui est tout de même le maintien de la vie. Donc si on laisse mourir quelqu’un pour un principe, c’est bien de ça dont on discute. Alors là on parle de cas extrêmes, mais c’est sûr que pour tout ce qui est mode de filiation, traitement de la stérilité aujourd’hui, on est dans beaucoup dans l’artificialisation. Le fait de faire une fécondation in vitro ou la congélation des embryons peuvent être, pour certains, perturbant sur le plan éthique  Donc on se rend compte que c’est, en tous les cas, une place au dialogue et que si on ne lui donne pas cette place on est sûr du contraire, c’est-à-dire d’une fermeture, d’un blocage, et d’une non modernité.

Je ne dis pas qu’il faut avancer automatiquement sur tout le champ des possibles. Je comprends parfaitement qu’un couple, finalement, plutôt que d’avoir recours à un don de sperme, par exemple, décide de ne pas avoir d’enfant. C’est son choix. Il n’y a pas de pression. Il y a beaucoup de situations et elles ne sont pas toutes vitales : elles s’intègrent pour beaucoup dans un concept de la vie propre, elles sont plus soft, quand même. Il n’y a pas de militantisme ; on essaye, simplement. On ne peut pas avoir recours à ce genre d’approche sans avoir fait un véritable travail de recomposition par rapport à ce qui est traditionnel. Donc l’éthique, à mon avis, va mettre en avant des valeurs plus universelles, c’est vrai, de la vie, de l’éducation, de l’importance, par exemple, du social par rapport au génétique. C’est automatiquement des ouvertures dans ce sens-là.

Du fait de votre expérience et de la réflexion que vous menez, feriez-vous une différence entre une éthique vécue sous un angle religieux et une éthique vécue sous un angle laïque?

Ce qu’il y a, c’est que dans le religieux – quelles que soient les religions, d’ailleurs – il y a un religieux qui est dogmatique et un religieux qui ne l’est pas. Il y a des situations qu’on peut discuter et d’autres qu’on ne peut pas discuter. A partir du moment où l’on peut discuter – bien qu’il y ait des références qui sont très caractérisées –, je trouve que la problématique n’est pas très différente avec le laïc, même s’il y a des points de rattachement qui vont au-delà de la question, qui ont un fil conducteur qui n’existe pas, bien sûr, dans le laïc. Si vous croyez en l’âme et en une vie au-delà, vous n’êtes pas relié de la même façon que si vous n’y croyez pas. Mais il n’empêche qu’à partir du moment où il y a une ouverture, sur un plan d’éthique pratique, sur un problème en particulier ou un comportement particulier, il peut y avoir, heureusement, des points de jonction.

Vous a-t-il semblé, dans votre expérience, que les personnes qui se reliaient à une dimension métaphysique avaient une manière différente d’aborder les problèmes de la santé ?

Non ! je pense que personne n’a le monopole – pour reprendre une phrase de… Personne n’a le monopole de la morale et de l’intensité de la réflexion. Il y a des gens qui sont plus sensibles que d’autres, et pas assez d’ailleurs à mon goût, mais c’est tout ce que je dirais. Non, je ne crois pas qu’y ait de monopole. Par exemple, au Comité Consultatif National d’Éthique, où certes les religions en tant que telles ont des représentants, la majorité a peut-être des croyances, mais ils ne sont pas là en tant que tels. Il y a justement aussi une représentation des laïcs et on ne peut pas dire que les débats éthiques ne sont pas intenses et à foison.

Vous semble-t-il que les personnes qui manifestent, verbalement en tout cas, leur lien avec une dimension divine disposent globalement, statistiquement, d’une force morale plus importante ?

Non, non ! La preuve, c’est qu’on voit les incitations aux guerres diverses et variées, qui ont toujours été sous la bannière étoilée de telle ou telle religion, quelle qu’elle soit. Non ! Donc je dirais qu’être religieux et avoir le sens du divin, ou même une certaine mystique, n’est pas une garantie par rapport aux valeurs éthiques que je ressens. Je vais le dire un peu différemment : beaucoup de gens qui ont une conscience et donc une réflexion par rapport à cette thématique-là, qui sorte du quotidien, ceux qui veulent avoir un regard un peu différent sur les actions telles qu’on les mène dans la vie et leur donner un sens, tous ceux qui finalement cherchent un sens à leur vie et aux actes qu’ils font, sont pour beaucoup des religieux, parce qu’ils ont cette volonté d’intégrer cela dans un sens à donner, dans l’ordre des choses. N’est-ce pas ? Donc on peut espérer trouver chez eux, plus que chez quelqu’un qui serait totalement dans un pragmatique pur et dur, cette espèce d’ouverture et de sensibilité. Mais, je le disais, ce n’est pas une garantie, car on voit bien que des orthodoxes ou des fanatiques sont extrêmement dangereux au contraire ; donc ce n’est pas une garantie. Et à l’inverse, ceux qui sont athées, comme je le suis, je ne pense pas qu’ils en fassent l’économie. Peut-être même au contraire : je pense qu’il y a une réflexion qui est plus dure, parce que justement elle est en construction permanente et qu’elle fait des références qui ne sont pas établies et dogmatiques, mais qui sont à réévaluer, à reconstruire. Donc c’est un champ d’ouverture plus libre, bien sûr, mais aussi plus périlleux, parce qu’il n’y a forcément pas de modèle.

Entretien réalisé le 14 mai 2008

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