Jean-Claude Guillebaud – éthique et médias

Transcription de la vidéo

Comment voyez-vous le rôle des médias dans la possibilité de diffuser une certaine éthique dans la société ?

Jusqu’à présent et pendant très longtemps, quand j’étais étudiant à Sciences Po – j’ai fait Sciences Po avec mon droit – on nous expliquait que le degré de démocratie d’un régime se mesurait en général à la liberté de la presse. C’est vrai, c’était un bon indicateur. Quand on regardait l’état des libertés, en Russie ou dans un pays du Tiers-Monde, on regardait tout de suite quelle était la liberté des journalistes et cela indiquait d’une manière assez précise le degré de démocratie d’un régime. Donc, en fait, la presse et le journalisme étaient les gardiens de la démocratie : ils étaient un contre-pouvoir pour empêcher les débordements, pour dénoncer, pour révéler ce qui était caché, etc. Donc ils étaient les défenseurs de la démocratie.

Et puis, au fil des années, ils en sont devenus les adversaires. Ils sont devenus une menace pour la démocratie. Il y a eu l’hégémonie de la télévision, il y a eu cette espèce d’appareil médiatique incontrôlable qui s’est constitué, qui est planétaire, que plus personne ne peut diriger et qui a fini par transformer de l’intérieur la démocratie. On est passé de la démocratie représentative à la démocratie d’opinion, avec tout ce qu’elle peut avoir de versatile, de foucades, de déstabilisateur, de déstabilisant ; cette espèce de transparence meurtrière et dangereuse, ce qu’on a pris l’habitude d’appeler le lynchage médiatique, cette manière au fond de réagir comme des bancs de poissons, si vous voulez, qui tout d’un coup… Le discours unique des médias, le politiquement correct, cette espèce de… Au fond, cette espèce de cléricalisme médiatique qui est devenu tellement un problème.

D’ailleurs je suis bien placé comme éditeur pour le savoir : maintenant, cela fait une bonne vingtaine d’années que on publie en France au moins quarante livres par an concernant les médias et concernant les dérives médiatiques. Et si on ajoute à cela le nombre de dossiers sur le même sujet dans les revues savantes, à l’université et tout, on s’aperçoit qu’au fond c’est un problème qui est devenu, lui-même en tant que tel, une nouvelle discipline du savoir. Il y a une vraie question des rapports entre le médiatique et la démocratie.

Entretien réalisé le 6 mars 2008

Les commentaires sont fermés.