Anne Baudart – sensibilisation à l’éthique

Transcription de la vidéo

Qu’est-ce ce qui vous a personnellement sensibilisée à la philosophie de l’éthique, ou à l’éthique d’une manière générale ?

L’éducation de mes parents était effectivement un modèle de droiture, mais comme j’avais un tempérament plutôt d’opposition aux parents, j’ai voulu forger par rapport à eux un autre type de comportement, du moins dans l’enfance. Donc, le modèle parental, répondre non ? Je ne vois pas qui pourrait répondre non : que ce soit par l’opposition ou que ce soit par l’adhésion, on arrive au même résultat !

En revanche, j’ai été très tôt placée dans le contexte médical, c’est-à-dire très jeune, au moment du baccalauréat. C’est là que, pour ma part, je me suis formée sur le terrain existentiel, thérapeutique et psychologique, puisque je travaillais dans le cadre de maladies mentales, dans le cadre de la psychiatrie. Ça m’a passionnée, d’ailleurs. Je voyais des gens de mon âge qui étaient atteints de maladies graves, puisque j’étais dans des secteurs où on mélangeait tous les types de maladies – c’est ce qu’on appelle les secteurs d’entrée, en secteur hospitalier. Et donc, par exemple dans un service de vingt lits, je voyais vingt types de jeunes filles de mon âge atteintes qui de schizophrénie, qui de paranoïa, qui de dépression nerveuse lourde, etc. Et j’avoue très honnêtement que c’est là – autant que par rapport au modèle parental, mais à côté du modèle parental –, sur le terrain, quoi faire quand on a quelqu’un qui vous demande la mort – parce que le milieu familial dans lequel elle se situait, elle avait exactement mon âge, alors je ne pouvais pas ne pas m’identifier à elle, était un milieu parental épouvantable –, alors quoi faire ? Et je me souviens que très jeune, genre seize ans, j’avais des réponses théoriques, car j’étais déjà un petit peu attirée par la philosophie, mais je ne pouvais pas répondre, et ça m’a beaucoup, beaucoup interpellée à cette époque-là. Mon intérêt pour la bioéthique aujourd’hui est complètement en lien avec cette première expé2rience ; ça, je crois que c’est un ancrage.

J’ai travaillé plusieurs années dans le secteur de la psychiatrie, et je me suis forgée peut-être déjà une définition de l’éthique comme quelque chose qui respecte beaucoup l’autre. Car quand quelqu’un demande le suicide par exemple, ou s’est suicidé, ou arrive pour un suicide presque abouti, et qu’on n’a rien en tant que médecin, infirmier, personnel soignant etc. pour l’aider lorsqu’elle va revenir dans son milieu, que fait-on ? Et là, donc, première expérience de responsabilité : le bien, le mal, qu’est-ce que c’est ? La personne est morte d’ailleurs, et je me disais que si elle avait vécu, j’aurais été très mal aussi. Donc on pose une question existentielle, je réponds vraiment le plus authentiquement possible. Je crois que c’est ça le foyer initial de mon intérêt pour l’éthique, c’est-à-dire le problème des valeurs : est-ce qu’il y a une solution par rapport aux grandes questions de l’existence, notamment le rapport à la mort ? Très tôt…

Vous me parlez de bonheur, mais est-ce que finalement la finalité de l’éthique ce n’est pas aussi d’apprendre à mourir ? Ça rejoindrait une des finalités de la philosophie.

Entretien réalisé le 16 novembre 2007

Les commentaires sont fermés.