Guy Bedos – éthique et connaissance de soi

Transcription de la vidéo

Est-ce que l’éthique peut être aussi une lutte contre ses mauvais penchants ?

Ça c’est une très bonne question, j’y ai pensé souvent. C’est vrai que ce serait trop simple d’être impeccable. Non, on lutte contre des tendances, évidemment, et puis il y a dans certains cas la notion d’expiation aussi. On se sent coupable de saloperies commises, disons par le groupe humain, social auquel on appartient et on a honte, un peu. Et donc c’est peut-être en effet une façon de se sauver soi-même. C’est un combat de toute une vie. Alors, Dieu merci, on se repose de temps en temps. Et puisqu’on parle d’éthique, je ne suis pas tout à fait sûr d’avoir toujours été épatant dans ma vie. Je ne suis pas tout à fait sûr de ne pas avoir commis deux ou trois petites saloperies quand même. Pas trop, honnêtement, pas trop. On peut faire de la peine à des gens, on peut décevoir, il y a tellement de lieux, si j’ose dire… L’amour, par exemple, pour être impeccable en amour, sacré boulot ! Il faut travailler.

Ces expériences d’ordre éthique, à propos desquelles vous dites : « Je n’ai pas été impeccable », quel regard portez-vous sur elles, aujourd’hui ?

Je peux même raconter une histoire véritable. Je vivais avec une femme que j’adorais, qui m’adorait, avec qui je formais un couple relativement célèbre, qui était Sophie Daumier, ma femme et ma partenaire. Ça a été magnifique pendant des années, des années, et puis elle était devenue, comment dire, difficile à vivre. Jalouse au-delà du supportable, un petit peu dangereuse même, me menaçant. Elle me disait qu’elle allait me tuer pendant mon sommeil. J’ai fini enfermé à double tour dans un bureau laqué noir, et puis je l’ai quittée, je suis parti, j’ai fait ma valise. Mais dans ces choses-là, ce n’est pas celui qui fait la valise qui est gagnant, fatalement. Je veux dire que l’on peut faire la valise et avoir de la peine. Ce n’est pas rien. C’est une personne avec qui on a fait des choses, avec qui on a construit, qu’on a aimée, qu’on aime encore, mais qui est devenue difficile. Bon, jusque-là c’est banal : un homme quitte une femme, une femme quitte un homme, c’est banal. Mais où ça se complique, c’est que quelques années plus tard, j’apprends que Sophie est atteinte d’une maladie dite orpheline, la chorée de Huntington, que le Téléthon n’a pas prise dans son répertoire C’est une maladie incurable, qui touche à la fois le système nerveux et musculaire. Une sorte de myopathie matinée de maladie d’Alzheimer, en quelque sorte.

Eh bien, je ne m’en suis pas tout à fait remis et je ne m’en remettrai jamais. Parce que si j’avais su qu’elle était malade, je ne serais pas parti. En revanche, étant très proche de l’association Le droit de mourir dans la dignité, je ne suis pas sûr que je ne l’aurais pas tuée. Et que je ne me serais pas tué également, si j’étais resté avec elle. Alors, je me suis rattrapé en étant exemplaire avec elle jusqu’au bout, sur le plan financier, sur le plan de l’attention que je lui portais, à elle, à ce fils que j’ai reconnu alors qu’il n’était pas mon fils biologique, mais pour lui faire plaisir. Bref je me suis beaucoup compliqué la vie pour elle. Et ça fait partie des choses dont je me dis : « Moyen, moyen, quand même. » J’aurais pu peut-être être un peu plus curieux, plus tôt. J’en garde une certaine culpabilité, oui. Parce qu’après, je l’ai accompagnée, bien sûr. Mais enfin il y avait des dames qui s’occupaient d’elle, etc. Je ne veux pas offenser la femme qui est dans ma vie depuis trente ans, avec qui j’ai eu deux enfants magnifiques, mais je crois que rarement une femme ne m’aura aimé autant, et on était totalement, artistiquement…, il y avait une fusion. Et voilà. C’est moi qui ai pris la décision de rompre ça. Et dans la mesure où elle était innocente, puisqu’elle était malade, je ne suis pas fier de moi.

Le fait de mener une vie éthique conduit-il, selon vous, à se connaître soi-même et à aller vers d’avantage d’éthique ?

Oui, oui… Ce que plus banalement on appelle « être à la hauteur ». Être à la hauteur des espérances que tel ou tel, l’entourage ou des gens qui nous aiment bien mettent en nous. Ne pas décevoir, ressembler à l’idée que certains se font de moi et m’y appliquer. Mais ce n’est pas toujours si évident, parce qu’encore une fois, on n’est pas admirables vingt-quatre heures sur vingt-quatre et on peut avoir des tentations. Je ne veux pas parler non plus comme un prêtre, je parle comme un laïque, mais encore une fois il y a une sorte de dignité laïque qui vaut l’autre. Toutes les questions que vous me posez passent au fond par l’aveu, même si c’est indiscret, mais tant pis, ce n’est pas très grave. Ce n’est pas ça qui est grave, c’est la chose qui est grave, mais pas le fait de la raconter. Donc voilà, cela exige une certaine lucidité quand même, pas trop de complaisance vis-à-vis de soi. Il y a des gens qui se trouvent épatants tout le temps, moi je veux bien, mais j’en connais à qui je pourrais dire : « Ben là non, c’est pas terrible ! » Et donc ça doit être vrai pour moi. C’est en cela que parfois, telle ou telle critique, surtout si elle est bienveillante et si elle vient de gens qui nous connaissent et qui ont des exigences pour nous-mêmes, sont nécessaires. Et c’est toujours et toujours, je le répète, un travail sur soi, sur sa manière d’être. Ce n’est pas acquis, chaque jour est autonome et on peut déraper chaque jour, chaque instant. Il y a des questions que je me pose parfois sur le courage, et inversement sur la lâcheté. Quand j’apprends des faits-divers, où des gens ont laissé faire les pires choses sans intervenir, alors sur le moment, moi, évidemment je vis en héros, je me dis : « Oh moi j’aurais fait ci… » Et puis après je me dis : « Peut-être que j’aurais hésité, parce que c’est un peu con d’aller se faire blesser ou tuer pour quelqu’un qui ne vous en saura même pas gré. De quoi je me mêle ? » Les deux discours sont en balance.

Je suis quelqu’un qui réfléchit, bien sûr. J’écris, je suis à la fois acteur, humoriste, écrivain d’une certaine manière. Là j’écris un livre sur le suicide ; c’est étonnant de la part d’un humoriste, mais voilà ! Il s’appelle Le jour et l’heure. C’est une chose que j’ai envie de mener à son terme et qui n’a pas l’air de déplaire à mon éditeur. En dehors de tous ces domaines où la réflexion s’impose, dans l’action je crois qu’en ce qui me concerne je suis très spontané. Cela ne passe pas par des interrogations interminables : ce que je fais, ce que je choisis de faire. Non, encore une fois. Donc, il faut vivre parfois aussi peut-être tête baissée, sans trop peser le pour et le contre. Je pense que les gens qui se sont trouvés en situation, en d’autres temps, par exemple des résistants… On parle beaucoup de résistance en ce moment, je vais faire ce spectacle sur le rire de résistance.

Entretien réalisé le 30 novembre 2007

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