Guy Bedos – caractères et vertus éthiques

Transcription de la vidéo

Pourriez-vous nous dire quel est le caractère éthique qui vous a été le plus nécessaire dans votre vie ?

Je pense que c’est la solidarité. C'est l’absence totale de mépris social, intellectuel, pour des gens dits modestes. Ça ne passe pas tellement par la politique d’ailleurs ça, c’est naturel. Je peux m’attaquer à des gens puissants, mais jamais, jamais… Ma légion d’honneur d’une certaine manière, ça a été récemment dans le tournage d’un film. J’avais le rôle principal, j’étais la vedette en quelque sorte du film, et nous avions un directeur de production qui n’était vraiment pas très fréquentable, qui faisait du zèle auprès de ses patrons et qui était désagréable avec la plupart des gens de l’équipe. Et ils m’ont nommé délégué, alors que j’avais le rôle principal. Ce n’était pas évident. J’étais délégué des techniciens, de l’habilleuse, des acteurs et je lui ai fait mener une vie d’enfer à ce garçon. Je parle du directeur de production en question. Je lui ai dit un jour : « Vous savez qu’on s’entend tous très bien, mais il n’y a que vous. Tout le monde vous déteste. Vous partez quand ? Vous nous empêchez de travailler. » On pourrait dire que c’est le respect de l’autre, c’est le respect quel qu’il soi.

Mais c’est un peu gênant, ce que l’on est en train de faire, parce que je m’entends parler de moi de façon un peu complaisante, c'est-à-dire... genre : « Quel type bien je suis, n’est-ce pas ? » Mais comment faire pour parler de ces choses sans passer par soi ? Mais c’est fou, c’est fou !

Quand je parlais du manque de solidarité humaine. Une fois, je me souviens, j’étais allé faire de la thalassothérapie à La Baule, dans un hôtel très fréquenté par les artistes renommés. J’ai cette chance de pouvoir me payer une chambre d’hôtel, un traitement thalasso, c’est du luxe tout ça et j’en ai conscience, mais ça n’empêche pas de partager des choses avec l’autre. Et je me souviens que j’avais parlé à la femme de chambre, et elle était très surprise. Elle me dit : « Vous êtes le premier à me parler !» Je posais des questions du genre : « Vous avez des enfants ? Ça va ? Pas trop de travail ? Vous êtes payée correctement ? » Enfin, je l’avais un petit peu interviewée, quoi, pour savoir ! Et la fille n’en revenait pas. Et je ne citerai pas tous les gens qui vont à La Baule régulièrement, mais ça m’a tué ça, qu’elle me dise : « Il n’y a que vous qui m’ayez posé des questions de ce genre ! » Parce qu’ils s’en foutent.

Et c’est vrai qu’une partie de la société, pour reprendre la formule de mon maître à penser Raffarin – c’est pour rire, que je dis ça :  « France d’en haut, France d’en bas »… C’est hallucinant, mais j’ai toujours vu ça ! J’ai vu ça en Algérie. C’était racial, d’une certaine manière : les Européens – comme on les appelait – ne voyaient pas les Algériens, les juifs. On était racistes de façon évidente, la question ne se posait même pas, voilà, on n’a rien à voir avec ces gens-là. Mais il y a un racisme social aussi. Dans la même Algérie, ou dans le même Maroc, aujourd’hui ils ne sont pas du tout séparés par l’ethnique, mais par la situation. Et j’ai surpris des types, directeurs de théâtre, ou consuls, ceci, cela, parler à leurs frères de race – si tant est que le mot veuille dire quelque chose, on sait que ça n’existe pas, la race c’est pour les chiens… alors que pour les gens, voila, c'est "ethnie". Il m’est arrivé de reprendre un copain, brave type d’autre part : « Mais comment tu parles aux gens, toi ? » Ces directeurs de théâtre, ils étaient reçus à la cour, ils connaissaient le roi… ils parlaient au chauffeur de taxi, au serveur, au « petit » quoi. Moi ça me revient de façon un peu lancinante cette histoire-là, mais je ne comprends pas que l’on puisse ignorer quelqu’un et n’avoir avec ce quelqu’un… Et ce n’est pas seulement une affaire de classe d’ailleurs. Moi je suis quelqu’un qui téléphone aux médecins pour les remercier quand ils m’ont guéri ; je suis dans le « rien ne m’est dû ». Je demande même des nouvelles de leur santé aux médecins. Ce n’est pas seulement "France d’en haut, France d’en bas". Il y a aussi beaucoup de gens qui n’ont que des rapports utiles, fonctionnels à l’autre. Or, il faut perdre du temps, de temps en temps – c’est en gagner – et avoir des rapports gratuits, comme ça. Et on en revient toujours à cette notion de profit, de ne pas faire les choses avec une idée derrière la tête, « qu’est-ce que je vais en tirer comme bénéfice », etc. Il me semble que ça tourne autour de la notion d’éthique tout ça. Non ?

Entretien réalisé le 30 novembre 2007

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