Hélène Grimaud – éthique et musique

Transcription de la vidéo

Est-ce que la musique peut transmettre des valeurs éthiques, des vertus ?

Je pense que le miracle de la transmission est quelque chose qui communique à l’autre, qui a déjà une valeur, qui était déjà une vertu finalement en elle-même. Parce que c’est quelque chose qui permet de réaliser la place qu’on occupe, qui est relativement modeste dans le grand ensemble et qui justement vous responsabilise d’une certaine façon. La musique, en tout cas de tous les arts, c'est celui qui parle le plus violemment, le plus tendrement aussi à l’âme, à l’homme, et c’est quelque chose de très viscéral. De toutes les formes d’art où j’ai pu en faire l’expérience… Alors ça reste peut-être une question de sensibilité, ça reste peut-être subjectif, mais je trouve qu’il n’y a que la musique pour vous transpercer et vous envelopper en même temps.

Et quand elle vous fait ressentir les choses au plus profond de vous-même, elle vous remet en contact avec ce que vous êtes réellement, ce que vous n’avez certainement pas la possibilité de réaliser dans la vie de tous les jours, parce que la vie de tous les jours n’est pas un terreau propice à ce que l’homme a de mieux à offrir. On peut sans cesse transformer le quotidien, ça j’en suis persuadée, je l’ai vécu même. Ce n’est pas quelque chose que je vis régulièrement, malheureusement, mais je l’ai approché de suffisamment près pour croire en sa puissance de transformation. Mais ça reste quand même un effort, un effort à renouveler, et c’est en ça qu’un art comme la musique peut nous permettre de nous exhausser, de grandir, de nous ouvrir toujours à autre chose, à plus que ce que l’on est et que l’autre que l’on a en face de soi.

La musique a-t-elle un effet positif concret sur l’interprète ?

Oui, j’en suis persuadée. Un effet de construction, d’ouverture, d’élévation. Après évidemment… it remains to be seen what we do of that [il reste à voir ce que nous en faisons]. Ce n’est pas automatiquement que quelque chose va se bâtir là-dessus, ça c’est la question du travail et de l’investissement de cette de cette mission personnelle plus tard. Mais déjà l’effet d’une ouverture. C’est une expérience qui fait percevoir l’au-delà et en ce sens elle ne peut qu’élever, forcément, et développer l’esprit.

Est-ce que votre intention a une influence sur votre jeu et votre contact avec le public ?

C’est vrai, dans la question que vous avez posée : si on a une image mentale claire, d’ailleurs pas seulement mentale mais aussi du cœur, de ce que l’on souhaite réaliser, de ce que l’on souhaite communiquer, c’est de toute façon plus important que la plastique de la réalisation pour transmettre cette émotion. D’ailleurs Claudio Abbado disait quelque chose de très beau. Il disait que peu de gens se rendaient compte, même les musiciens, à quel point la magie d’un concert est l’affaire de quelques secondes. L’idée n’est pas d’avoir été époustouflé pendant une heure et demie ou deux heures. La magie de la musique, c’est de pouvoir faire que le temps s’arrête, et que tout d’un coup on perde le souffle, sur une fraction de seconde, et que c’est ça le vrai pouvoir de l’art et de la musique en particulier.

Entretien réalisé le 5 mars 2011

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