Gilbert Cotteau – éthique et connaissance de soi

Transcription de la vidéo

Avez-vous l’habitude de chercher en vous-même l’origine de ce qui vous arrive de positif ou négatif dans la vie ?

Ça n’a pas toujours été le cas, parce qu’on apprend. La première fois, par exemple, que j’ai été confronté  à une situation très difficile pour moi – j’avais une quarantaine d’années –, ma réaction a été de dire : « C’est l’autre ! Et l’autre est coupable, pas seulement responsable ! » Et puis au fur et à mesure que le temps passe, on apprend justement à se distancier. D’abord à cesser de porter un jugement immédiat. Il y a quelques années, j’entendais un journaliste qui souvent disait dans l’émission qu’il animait : « Juger, c’est manquer de jugement. » Et je trouvais que c’était très justement résumé. Qu’est ce qui anime l’autre ? Qu’est ce qui fait qu’il agit comme ça dans telles circonstances ? Il peut effectivement manquer de compréhension, d’attention, de bienveillance. Il peut même être méchant ou accomplir un acte détestable, mais est-ce que je n’ai pas une petite part de responsabilité, ou une grosse part ? Et en tout cas, cela fait bien longtemps que, quand je suis confronté à une situation qui me pose un problème, je commence par me dire : « D’abord moi, ensuite l’autre ». Et l’autre, plutôt le considérer dans ce cas-là avec une certaine bienveillance.

Le chirurgien dont j’ai parlé il y a un instant, finalement je me dis qu’il est dans un système : on apprend aux médecins, comme aux dirigeants d’entreprise, comme aux ingénieurs, on leur apprend sans doute à avoir des attitudes extrêmement performantes en matière technique. Je crois que c’est Lévinas, non c’est Montesquieu – donc il y a déjà quelques temps – qui disait de « ne pas cesser d’appréhender le monde avec un esprit de finesse pour le remplacer avec un esprit de géométrie ». Je paraphrase son idée. Je pense que l’on est dans une perspective qui est constamment  géométrique, je veux dire par là technique. Ce qui se passe au point de vue économique en ce moment en est l’illustration la plus évidente.  

Lorsque vous faites cette démarche de regarder à l’intérieur de vous-même, quel bénéfice en tirez-vous ?

La phrase qui était inscrite au fronton de Delphes « Connais toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ! » est tellement connue qu’en tout cas la réponse s’inscrit dans cette quête. Il me semble que chercher à se connaitre soi-même, en tout cas en ce qui me concerne, c’est aussi essayer de comprendre le monde, donc le sens qu’on lui donne, et si au-delà du monde visible, au-delà du monde sensible, il y a une réalité qui m’échappe. Et si oui, laquelle ? Je ne connais personne qui ait expliqué de manière rationnelle : « Oui voilà la réalité, voilà ce qui se passe après la mort, voilà quel Dieu régit toute cette dimension cosmique ! ». D’ailleurs je pense que si quelqu’un l’avait expliqué de manière très précise, nous devons chacun de nous faire l’expérience d’une approche intuitive d’une réalité qui dépasse justement le visible. Et là je dois dire que cette démarche qui consiste à analyser ce qu’on vit d’important – je ne parle pas des petits gestes quotidiens –, c’est probablement une nécessité pour justement de temps en temps, laisser advenir comme une fulgurance, une sorte d’éclairage ; ben voilà, voilà l’explication ! Sauf que ce n’est pas clair comme ça, c’est très rapide. Curieusement c’est, en ce qui me concerne et je pense sûrement chez beaucoup, irréversible. C’est un peu comme si cela laissait une trace extrêmement profonde en soi, qui vous oblige à partir de là à continuer constamment. C’est à la fois une chance, je pense, d’avoir mis en route cette démarche d’auto-connaissance, parce que cela se traduit par le cadeau, la grâce, je ne sais jamais quel mot utiliser là, de percevoir plus ou moins clairement comment on se situe sur cette terre et justement qui suis-je par rapport à l’autre et qu’est-ce que je dois à l’autre.

Entretien réalisé le 30 novembre 2009

Les commentaires sont fermés.