Ghaleb Bencheikh – éthique religieuse, éthique laïque

Transcription de la vidéo

Le croyant est-il aidé dans ce travail? Et qu’en est-il des incroyants ?

Là vous mettez le doigt sur une question fondamentale : le croyant que je suis est interpellé par le comportement de ceux qui ne professent pas une origine non mécanique à tous les mécanismes, une force créatrice, une intelligence suprême, un être premier, et qui agissent cependant dans le but d’alléger les souffrances qui touchent leurs semblables. Parce que le croyant a d’un côté l’espoir d’être rétribué pour ce qu’il a fait, ou dans certains cas veut en tout cas échapper aux tourments du feu qui l’attendra. En revanche, ceux qui sont dans une approche plutôt athée le font par amour de l’homme. Et ceci n’est pas sans m’interpeller personnellement. Il y a la catégorie de ceux qui sont agnostiques et qui par respect et par amour de la dignité de l’homme, et surtout de ses facultés mentales et de son intelligence ne veulent pas abdiquer. Ils ne veulent pas trancher. Tel le poète Juvénal, ils disent : «Vitam in pertere vero » : ma vie durant je chercherai la vérité et je ne tranche pas dans un sens ou dans l’autre. C’est une situation respectable, admirable, douloureuse même, mais il me semble que ceux qui agissent ainsi ont une très haute idée de l’esprit humain.

Maintenant, pour les croyants, il me semble que là aussi - sans vouloir mettre les esprits, les consciences humaines dans des catégories -, il me semble qu’il vaut mieux, selon un aphorisme bien connu, « venir à la recherche de Dieu le jour du jugement dernier tout en le cherchant, qu’en ayant cru en lui tout en le méconnaissant. » Et qu’est-ce que méconnaître Dieu ? C’est ne pas l’honorer dans son icône et son vicaire sur terre qu’est l’homme, récipiendaire du souffle divin, réceptacle de cette effusion d’amour, de bonté et de miséricorde qui vient continûment de l’Être Premier. Et donc là, effectivement, le croyant est aidé, parce que son adoration de Dieu est ipso facto traduite d’une manière concrète, palpable, réelle dans cette sollicitude à l’égard de son semblable, lointain ou prochain, en tout cas quiconque, et par-delà avec l’ensemble de la création. Et là il ne faut pas que ce soit par volonté d’aller jouir des délices paradisiaques - à supposer que le paradis soit dans sa description allégorique voire littéraliste, - ni par crainte de subir les tourments du feu, comme je l’ai dit tout à l’heure.  

En matière de pratique éthique, la relation au divin serait-elle une aide concrète ?

Oui, à ceci près que je n’établis pas une quelconque hiérarchisation. Je ne suis pas de ceux qui croient que dès lors qu’ils sont les dépositaires d’un canal vers le transcendant, ou la transcendance d’une manière générale, sont des privilégiés. Le souci scrupuleux que j’ai du respect de la conscience humaine me pousse à dire : ceux qui s’épanouissent dans leur cheminement, dans leurs relations, dans leurs choix multiples, dans leurs différentes v.o.i.x ou v.o.i.e, vers le divin, c’est très bien.

Je pourrais éventuellement, et encore, m’arroger un droit, par souci d’estime et de respect, et d’amitié, de fraternité : leur faire savoir que, s’il y a eu un quelconque manquement par rapport à leur système de référence éthique, il faudrait le faire comprendre d’une manière testimoniale, pas d’une manière qui enseigne ou qui verse dans le prêchi-prêcha moralisateur. Parce que se détacher du reste du monde et ignorer autrui n’est pas une attitude éthique.

Entretien réalisé le 5 décembre 2008

 

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