Ghaleb Bencheikh – caractères et vertus éthiques

Transcription de la vidéo

Quel serait un modèle d’attitude éthique ? 

En dépit des contradictions que l’homme peut vivre – d’aucuns essayent de leur trouver des explications de type psychanalytique, si ce n’est psychique –, le fait d’avoir souligné, et je le dis à dessein, que l’homme est peccamineux, c’est pour qu’il puisse tendre un jour vers, sinon la perfection totale dès ici-bas, en tout cas pour qu’il puisse s’en approcher. À lui d’être conscient de deux ou trois éléments simples.

Il me semble personnellement et, là aussi, conformément à un aphorisme bien connu : que rien ne sert de froisser une âme humaine. Il n’y a pas plus terrible, pas plus aliénant que de froisser une âme humaine. Et il me semble que le souci scrupuleux, la vigilance première, c’est de ne pas le faire, c’est de se garder de le faire consciemment, inconsciemment de s’en rendre compte et dans ce cas de réparer, de rattraper, et de veiller à ce que l’homme ne soit pas bafoué dans ses droits, aliéné dans sa dignité, ratatiné dans son être, atteint dans ce qui fait son humanité. Je ne suis pas sûr qu’il faille nécessairement attendre une quelconque réciprocité chère à certains. C’est aussi semer, donner. Vous avez évoqué Camus ; de mémoire, je crois qu’il avait dit : « Il y a seulement de la malchance à n’être pas aimé, il y a du malheur à ne point aimer. » Donc laisser place à tout cela, donner une maturation pour que ces bribes d’approche, ces éléments de base pour une éthique humaine, voire humaniste, puissent se construire petit à petit ; c’est en tout cas un chemin indiqué. Y arrive-t-on un jour ? je ne le sais pas, même au soir de sa vie. Mais y renoncer, il ne faut surtout pas le faire. Donc continuer, œuvrer inlassablement, s’approcher, et la métaphore de l’asymptote demeurera toujours.

Mais comment parvenir à ne pas froisser une âme humaine ?

Sans masochisme aucun, il faut aussi considérer l’être de sa propre âme comme faisant partie des autres êtres et ne pas la froisser non plus. Tout est dans l’harmonie, dans la balance, dans le bon dosage. Le juste milieu commence à être un peu décrié de nos jours ; bien sûr il faut s’éloigner des extrêmes. C’est trouver le tempo, la bonne harmonie dans tout ça.

J’ai besoin du regard de l’autre, même lorsqu’il me déplaît. Et sans dolorisme, sans masochisme, c’est peut-être surtout lorsqu’il me déplaît. Parce qu’il me renvoie à sonder mon être intérieurement : que vais-je faire dans cette situation ? Vais-je réagir avec violence, ce qui est le plus naturel, ou vais-je subsumer cette violence pour faire de cet instant-là le lieu de la médiation et dire – conformément à beaucoup d’injonctions présentes dans les traditions religieuses et dans des systèmes éthiques communs à l’humanité – : "Que vas-tu faire dans ce cas précis ? Que vas-tu faire de ton frère l’homme, même lorsqu’il te ratatine avec son regard, même lorsqu’il se montre violent à ton égard ?" Est-ce une manière aussi de se laisser égorger, j’ai envie de dire ? Non, on peut résister sans dénaturer la résistance elle-même par des moyens qui la trahissent.  

Entretien réalisé le 5 décembre 2008

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